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comprends pas comment la matière peut être conçue, étendue, et cependant sans parties actuelles ni mentales ; et si cela est ainsi, je ne sais ce que c’est que d’être étendu. Je crois même que la matière est mentalement un agrégé et par conséquent qu’il y a toujours des parties actuelles. Ainsi, c’est par la raison, et non pas seulement par le sens, que nous jugeons qu’elle est divisée ou plutôt qu’elle n’est originairement qu’une multitude. Je crois qu’il est vrai que la matière (et même chaque partie de la matière) est divisée en un plus grand nombre de parties qu’il n’est possible d’imaginer. C’est ce qui me fait dire souvent que chaque corps, quelque petit qu’il soit, est un monde de créatures infinies en nombre. Ainsi je ne crois pas qu’il y ait des atomes, c’est-à-dire des parties de la matière parfaitement dures ou d’une fermeté invincible. Comme d’un autre côté je ne crois pas non plus qu’il y ait une matière parfaitement fluide, mon sentiment est que chaque corps est fluide en comparaison des plus fermes, et ferme en comparaison des plus fluides. Je m’étonne qu’on dit encore qu’il se conserve toujours une égale quantité de mouvement au sens cartésien, car j’ai démontré le contraire, et déjà d’excellents mathématiciens se sont rendus. Cependant, je ne considère pas la fermeté ou consistance des corps comme une qualité primitive, mais comme une suite du mouvement, et j’espère que mes dynamiques feront voir en quoi cela consiste, comme l’intelligence de mon hypothèse servira aussi à lever plusieurs difficultés qui exercent encore les philosophes. En effet, je crois pouvoir satisfaire intelligiblement à tous ces doutes dont M.  Bernier a fait un livre exprès, et ceux qui voudront méditer ce que j’ai donné auparavant en trouveront peut-être déjà les moyens.