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principe sensitif des animaux ; et je demeure d’accord qu’elle ne regarde que la masse corporelle. Aussi semble-t-il que vous ne me donnez point de tort lorsque je demande des unités véritables, et que cela me fait réhabiliter les formes substantielles. Mais lorsque vous semblez dire que l’âme des bêtes doit avoir de la raison ; si on lui donne du sentiment, vous vous servez d’une conséquence dont je ne vois point la force.

Vous reconnaissez avec une sincérité louable que mon hypothèse de l’harmonie ou de la concomitance est possible. Mais vous ne laissez pas d’y avoir quelque répugnance ; sans doute parce que vous l’avez crue purement arbitraire, pour n’avoir point été informé qu’elle suit de mon sentiment des unités ; car tout y est lié. Vous demandez donc, Monsieur, à quoi peut servir tout cet artifice, que j’attribue à l’Auteur de la Nature ? comme si on lui en pouvait trop attribuer, et comme si cette exacte correspondance que les substances ont entre elles par les lois propres, que chacune a reçues d’abord, n’était pas une chose admirablement belle en elle-même et digne de son auteur. Vous demandez aussi quel avantage j’y trouve ? Je pourrais me rapporter à ce que j’en ai déjà dit ; néanmoins je réponds, premièrement : que, lorsqu’une chose ne saurait manquer d’être, il n’est pas nécessaire, pour l’admettre, qu’on demande à quoi elle peut servir ? À quoi sert l’incommensurabilité du côté avec la diagonale ? Je réponds, en second lieu, que cette correspondance sert à expliquer la communication des substances, et l’union de l’âme avec le corps par les lois de la nature établies par avance, sans avoir recours ni à une transmission des espèces, qui est inconcevable, ni à un nouveau secours de Dieu, qui paraît peu convenable. Car il faut savoir que, comme il y a des lois de la nature dans la matière, il y en a aussi dans les âmes ou formes ; et ces lois portent ce que je viens de dire.

On me demandera encore d’où vient que Dieu ne se contente point de produire toutes les pensées et les modifications de l’âme, sans ces corps inutiles, que l’âme ne saurait, dit-on, ni remuer ni connaître ? La réponse est aisée. C’est que Dieu a voulu qu’il y eût plutôt plus que moins de substances, et qu’il a trouvé bon que ces modifications de l’âme répondissent à quelque chose de dehors. Il n’y a point de substance inutile ; elles concourent toutes au dessein de Dieu. Je n’ai garde aussi d’admettre que l’âme ne connaît point les corps, quoique cette connaissance se fasse sans influence de l’un