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nous avons déjà disputé vous et moi dans les journaux du seizième mars 1693 et du troisième août de la même année.

Vous apportez d’autre part une autre sorte d’unités, qui sont, à proprement parler, des unités de composition, ou de relation, et qui regardent la perfection, ou l’achèvement d’un tout, lequel est destiné à quelques fonctions, étant organique : par exemple, une horloge est une, un animal est un ; et vous croyez donner le nom de formes substantielles aux unités naturelles des animaux et des plantes, en sorte que ces unités fassent leur individuation, en les distinguant de tout autre composé. Il me semble que vous avez raison de donner aux animaux un principe d’individuation, autre que celui qu’on a coutume de leur donner, qui n’est que par rapport à des accidents extérieurs. Effectivement il faut que ce principe soit interne, tant de la part de leur âme que de leur corps : mais, quelque disposition qu’il puisse y avoir dans les organes de l’animal, cela ne suffit pas pour le rendre sensible ; car enfin tout cela ne regarde que la composition organique et machinale ; et je ne vois pas que vous ayez raison par là de constituer un principe sensitif dans les bêtes, diffèrent substantiellement de celui des hommes : et après tout ce n’est pas sans sujet que les cartésiens reconnaissent que, si on admet un principe sensitif, capable de distinguer le bien du mal dans les animaux, il est nécessaire aussi par conséquent d’y admettre de la raison, du discernement et du jugement. Ainsi permettez-moi de vous dire, Monsieur, que cela ne résout point non plus la difficulté.

Venons à notre concomitance, qui fait la principale et la seconde partie de votre système. On vous accordera que Dieu, ce grand artisan de l’univers, peut si bien ajuster toutes les parties organiques du corps d’un homme, qu’elles soient capables de produire tous les mouvements que l’âme jointe à ce corps voudra produire dans le cours de sa vie, sans qu’elle ait le pouvoir de changer ces mouvements ni de les modifier en aucune manière, et que réciproquement Dieu peut faire une construction dans l’âme (soit que ce soit une machine d’une nouvelle espèce, ou non) par le moyen de laquelle toutes les pensées et modifications, qui correspondent à ces mouvements, puissent naître successivement dans le même moment que le corps fera ses fonctions, et que cela n’est pas plus impossible que de faire que deux horloges s’accordent si bien, et agissent si uniformément, que dans le moment que l’horloge A sonnera midi,