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Lettre sur la question
si l’essence du corps
consiste dans l’étendue

Journal des Savants, 18 juin 1691, page 259.

Vous me demandez, Monsieur, les raisons que j’ai de croire que l’idée du corps ou de la matière est autre que celle de l’étendue. Il est vrai, comme vous dites que bien d’habiles gens sont prévenus aujourd’hui de ce sentiment, que l’essence du corps consiste dans la longueur, largeur et profondeur. Cependant il y en a encore, qu’on ne peut accuser de trop d’attachement à la scholastique, qui ne sont pas contents.

M.  Nicole dans un endroit de ses Essais, témoigne d’être de ce nombre, et il lui semble qu’il y a plus de prévention que de lumière dans ceux qui ne paraissent pas effrayés des difficultés, qui s’y rencontrent.

Il faudrait un discours fort ample pour expliquer bien distinctement ce que je pense là-dessus. Cependant voici quelques considérations que je soumets à votre jugement, dont je vous supplie de me faire part.

Si l’essence du corps consistait dans l’étendue, cette étendue seule devrait suffire pour rendre raison de toutes les affections du corps. Mais cela n’est point. Nous remarquons dans la matière une qualité que quelques-uns ont appelée l’inertie naturelle, par laquelle le corps résiste en quelque façon au mouvement ; en sorte qu’il faut employer quelque force pour l’y mettre (faisant même abstraction de la pesanteur) et qu’un grand corps est plus difficilement ébranlé qu’un petit corps. Par exemple :

Fig. 1.
Fig. 1.