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et dégagerait monsieur l’abbé. Mais, comme la solution de M.  Hugens est énigmatique en partie, apparemment pour reconnaître si je l’ai eue aussi, je lui en envoie le supplément, et cependant nous verrons ce qu’en dira M.  l’abbé. Il est vrai que, lorsqu’on sait une fois la nature de la ligne que M.  Hugens a publiée, le reste s’achève par l’analyse ordinaire. Mais sans cela la chose est difficile. Car la converse des tangentes ou data tangentium proprietate invenire lineam, où se réduit ce problème proposé, est une question dont M.  Descartes lui-même a avoué dans ses lettres n’être pas maître. Car le plus souvent elle monte aux transcendantes, comme je l’appelle, qui sont de nul degré, et quand elle s’abaisse aux courbes d’un certain degré, comme il arrive ici, un analyste ordinaire aura de la peine à le reconnaître.

Au reste, je souhaiterais de tout mon cœur que vous puissiez avoir le loisir de méditer une demi-heure sur mon objection contre les Cartésiens que monsieur l’abbé tâche de résoudre. Vos lumières et votre sincérité m’assurent que je vous ferais toucher le point, et que vous reconnaîtriez de bonne foi ce qui en est. La discussion n’est pas longue, et l’affaire est de conséquence, non seulement pour les mécaniques, mais encore en métaphysique, car le mouvement en lui-même séparé de la force est quelque chose de relatif seulement, et on ne saurait déterminer son sujet. Mais la force est quelque chose de réel et d’absolu, et son calcul étant différent de celui du mouvement, comme je démontre clairement, il ne faut pas s’étonner que la nature garde la même quantité de la force et non pas la même quantité du mouvement. Cependant il s’ensuit qu’il y a dans la nature quelque autre chose que l’étendue et le mouvement, à moins que de refuser aux choses toute la force ou puissance, ce qui serait les changer de substances, qu’ils sont, en modes ; comme fait Spinosa, qui veut que Dieu seul est une substance, et que toutes les autres choses n’en sont que des modifications. Ce Spinosa est plein de rêveries bien embarrassées, et ses prétendues démonstrations de Deo n’en ont pas seulement le semblant. Cependant je tiens qu’une substance créée n’agit pas sur une autre dans la rigueur métaphysique, c’est-à-dire avec une influence réelle. Aussi ne saurait-on expliquer distinctement en quoi consiste cette influence, si ce n’est à l’égard de Dieu, dont l’opération est une création continuelle, et dont la source est la dépendance essentielle des créatures. Mais, afin de parler comme les autres hommes, qui