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touchant la notion d’une substance individuelle, vous trouveriez peut-être qu’en me donnant ces commencements on est obligé dans la suite de m’accorder tout le reste. J’ai tâche cependant d’écrire cette lettre en sorte qu’elle s’explique et se défende elle-même. On pourra encore séparer les questions ; car ceux qui ne voudront pas reconnaître qu’il y a des âmes dans les bêtes, et des formes substantielles ailleurs, pourront néanmoins approuver la manière dont j’explique l’union de l’esprit et du corps, et tout ce que je dis de la substance véritable ; sauf à eux de sauver, comme ils pourront, sans telles formes et sans rien qui ait une véritable unité, ou bien par des points ou par des atomes, si bon leur semble, la réalité de la matière et des substances corporelles, et même de laisser cela indécis ; car on peut borner les recherches là où on le trouve à propos. Mais il ne faut pas subsister en si beau chemin, lorsqu’on désire d’avoir des idées véritables de l’univers et de la perfection des ouvrages de Dieu, qui nous fournissent encore les plus solides arguments à l’égard de Dieu et de notre âme.

C’est une chose étrange que M.  l’abbé Catelan s’est entièrement éloigné de mon sens, et vous vous en êtes bien douté, Monsieur. Il met en avant trois propositions, et dit que j’y trouve contradiction. Et moi je n’en trouve aucune, et me sers de ces mêmes propositions pour prouver l’absurdité du principe cartésien. Voila ce que c’est que d’avoir affaire à des gens qui ne considèrent les choses que superficiellement. Si cela arrive dans une matière de mathématique, que ne devrait-on pas attendre en métaphysique et en morale ? C’est pourquoi je m’estime heureux d’avoir rencontré en vous un censeur également exact et équitable. Je vous souhaite encore beaucoup d’années, pour l’intérêt du public et pour le mien, et suis, etc.[1].

  1. Dans un autre projet de lettre, Leibniz avait rédigé le dernier paragraphe ci-dessus de la manière suivante :

    « J’ai vu la remarque de M.  Catelan dans les Nouvelles de la République des Lettres du mois de juin, et je trouve que vous aviez deviné ce qui en est en disant que peut-être il n’a pas pris mon sens. Il l’a si peu pris que c’est une pitié. Il met en avant trois propositions, et disant que j’y trouve de la contradiction, il s’attache à les prouver et à les concilier, et, cependant, bien loin que j’y aie jamais trouvé la moindre difficulté ou contradiction, c’est par leur conjonction que je prétends d’avoir démontre la fausseté du principe cartésien. Voila ce que c’est que d’avoir affaire à des gens qui traitent les choses à la légère. Le bon est qu’il a déclaré si nettement en quoi il se trompait ; autrement nous aurions peut-être encore battu bien du pays. Dieu nous garde d’un tel antagoniste en morale ou en métaphysique, mais surtout en théologie : il n’y aurait pas moyen de sortir d’affaire. »