Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/629

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s’il y avait des atomes. Et je puis dire la même chose de la grandeur et du mouvement, savoir, que ces qualités ou prédicats tiennent du phénomène comme les couleurs et les sens, et, quoiqu’ils enferment plus de connaissance distincte, ils ne peuvent pas soutenir non plus la dernière analyse, et par conséquent la masse étendue considérée sans les entéléchies, ne consistant qu’en ces qualités, n’est pas la substance corporelle, mais un phénomène tout pur comme l’arc-en-ciel ; aussi les philosophes ont reconnu que c’est la forme qui donne l’être déterminé à la matière, et ceux qui ne prennent pas garde à cela ne sortiront jamais du labyrinthe de compositione continui, s’ils y entrent une fois. Il n’y a que les substances indivisibles et leurs différents états qui soient absolument réels. C’est ce que Parménide et Platon, et d’autres anciens, ont bien reconnu. Au reste, j’accorde qu’on peut donner le nom d’un à un assemblage de corps inanimés, quoique aucune forme substantielle ne les lie, comme je puis dire : voilà un arc-en-ciel, voilàun troupeau ; mais c’est une unité de phénomène ou de pensée qui ne suffit pas pour ce qu’il y a de réel dans les phénomènes. Que si on prend pour matière de la substance corporelle, non pas la masse sans formes, mais une matière seconde, qui est la multitude des substances dont la masse est celle du corps entier, on peut dire que ces substances sont des parties de cette matière, comme celles qui entrent dans notre corps en font la partie ; car, comme notre corps est la matière, et l’âme est la forme de notre substance, il en est de même des autres substances corporelles. Et je n’y trouve pas plus de difficulté qu’à l’égard de l’homme, où l’on demeure d’accord de tout cela. Les difficultés qu’on se fait en ces matières viennent entre autres qu’on n’a pas communément une notion assez distincte du tout et de la partie, qui dans le fond n’est autre chose qu’un réquisit immédiat du tout, et en quelque façon homogène. Ainsi des parties peuvent constituer un tout, soit qu’il ait ou qu’il n’ait point une unité véritable. Il est vrai que le tout qui a une véritable unité peut demeurer le même individu à la rigueur, bien qu’il perde ou gagne des parties, comme nous expérimentons en nous-mêmes ; ainsi les parties ne sont des réquisits immédiats que pro tempore. Mais si on entendait par le terme de matière quelque chose qui soit toujours essentiel à la même substance, on pourrait, au sens de quelques scolastiques, entendre par là la puissance passive primitive d’une substance, et en ce sens la matière ne serait point étendue ni divi-