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appartient de se représenter la piqûre, lorsqu’elle arrive à son corps. Et pour achever de m’expliquer sur cette matière, soient :


État des corps au moment A État de l’âme au moment A
État des corps au moment
suivant B [piqûre].
État de l’âme au moment B
 [douleur].

Comme donc l’état des corps au moment B suit de l’état des corps au moment A, de même B état de l’âme est une suite d’A, état précédent de la même âme, suivant la notion de la substance en général. Or, les états de l’âme sont naturellement et essentiellement des expressions des états répondants du monde, et particulièrement des corps qui leur sont alors propres ; donc, puisque la piqûre fait une partie de l’état du corps au moment B, la représentation ou expression de la piqûre, qui est la douleur, fera aussi une partie de l’âme au moment B ; car, comme un mouvement suit d’un autre mouvement, de même une représentation suit d’une autre représentation dans une substance dont la nature est d’être représentative. Ainsi il faut bien que l’âme s’aperçoive de la piqûre, lorsque les lois du rapport demandent qu’elle exprime plus distinctement un changement plus notable des parties de son corps. Il est vrai que l’âme ne s’aperçoit pas toujours distinctement des causes de la piqûre et de sa douleur future, lorsqu’elles sont encore cachées dans la représentation de l’état A, comme lorsqu’on dort ou qu’autrement on ne voit pas approcher l’épingle, mais c’est parce que les mouvements de l’épingle font trop peu d’impression alors, et quoique nous soyons déjà affectés en quelque sorte de tous ces mouvements et les représentations dans notre âme, et qu’ainsi nous ayons en nous la représentation ou expression des causes de la piqûre, et par conséquent la cause de la représentation de la même piqûre, c’est-à-dire la cause de la douleur ; nous ne les saurions démêler de tant d’autres pensées et mouvements que lorsqu’ils deviennent considérables. Notre âme ne fait réflexion que sur les phénomènes plus singuliers, qui se distinguent des autres ; ne pensant distinctement à aucuns, lorsqu’elle pense également à tous. Après cela, je ne saurais deviner en quoi on puisse trouver la moindre ombre de difficulté, à moins que de nier que Dieu puisse créer des substances qui soient d’abord faites en sorte qu’il leur arrive en vertu de leur propre nature de s’accorder dans la suite avec les phénomènes de tous les autres. Or, il n’y a point d’apparence de nier cette possibilité, et