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3° J’ai plus de choses à dire sur ces formes substantielles indivisibles et indestructibles que vous croyez que l’on doit admettre dans tous les animaux et peut-être même dans les plantes, parce qu’autrement la matière (que vous supposez n’être point composée d’atomes ni de points mathématiques, mais être divisible[1] à l’infini) ne serait point unum per se, mais seulement aggregatum per accidens.

1° Je vous ai répondu qu’il est peut-être essentiel à la matière, qui est le plus imparfait de tous les êtres, de n’avoir point de vraie et propre unité, comme l’a cru saint Augustin, et d’être toujours plura entia, et non proprement unum ens ; et que cela n’est pas plus incompréhensible que la divisibilité de la matière à l’infini, laquelle vous admettez.

Vous répliquez que cela ne peut-être, parce qu’il ne peut y avoir plura entia, où il n’y a point unum ens.

Mais comment vous pouvez-vous servir de cette raison, que M.  de Cordemoy aurait pu croire vraie, mais qui selon vous doit être nécessairement fausse, puisque, hors les corps animés qui n’en font pas la cent mille millième partie, il faut nécessairement que tous les autres qui n’ont point selon vous des formes substantielles soient plura entia, et non proprement unum ens. Il n’est donc pas impossible qu’il y ait plura entia, où il n’y a point proprement unum ens.

2° Je ne vois pas que vos formes substantielles puissent remédier à cette difficulté. Car l’attribut de l’ens qu’on appelle unum, pris comme vous le prenez dans une rigueur métaphysique, doit être essentiel et intrinsèque à ce qui s’appelle unum ens. Donc, si une parcelle de matière n’est point unum ens, mais plura entia, je ne conçois pas qu’une forme substantielle, qui en étant réellement distinguée ne saurait que lui donner une dénomination extrinsèque, puisse faire qu’elle cesse d’être plura entia, et qu’elle devienne unum ens par une dénomination intrinsèque. Je comprends bien que ce nous pourra être une raison de l’appeler unum ens, en ne prenant pas le mot d’unum dans cette rigueur métaphysique. Mais on n’a pas besoin de ces formes substantielles, pour donner le nom d’un à une infinité de corps inanimés. Car n’est-ce pas bien parler de dire que le soleil est un, que la terre que nous habitons est une ? etc. On ne comprend donc pas qu’il y ait aucune nécessité d’admettre ces

  1. Gehrardt : Indivisible : contre-sens et même non-sens.