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jamais, et toutes les pensées qu’elle aura. Donc, puisque nos pensées ne sont que des suites de la nature de notre âme et lui naissent en vertu de sa notion, il est inutile d’y demander l’influence d’une autre substance particulière, outre que cette influence est absolument inexplicable. Il est vrai qu’il nous arrive certaines pensées, quand il y a certains mouvements corporels, et qu’il arrive certains mouvements corporels, quand nous avons certaines pensées ; mais c’est parce que chaque substance exprime l’univers tout entier à sa manière, et cette expression de l’univers, qui fait un mouvement dans le corps, est peut-être une douleur à l’égard de l’âme. Mais on attribue l’action à cette substance dont l’expression est plus distincte, et on l’appelle cause. Comme lorsqu’un corps nage dans l’eau, il y a une infinité de mouvements des parties de l’eau, tels qu’il faut afin que la place que ce corps quitte soit toujours remplie par la voie la plus courte. C’est pourquoi nous disons que ce corps en est cause, parce que, par son moyen, nous pouvons expliquer distinctement ce qui arrive ; mais si on examine ce qu’il y a de physique et de réel dans le mouvement, on peut aussi bien supposer que ce corps est en repos, et que tout le reste se meut conformément à cette hypothèse, puisque tout le mouvement en lui-même n’est qu’une chose respective, savoir : un changement de situation qu’on ne sait à qui attribuer dans la précision mathématique ; mais on l’attribue à un corps par le moyen duquel tout s’explique distinctement. Et en effet, à prendre tous les phénomènes petits et grands, il n’y a qu’une seule hypothèse qui serve à expliquer le tout distinctement. Et on peut même [dire] que, quoique ce corps ne soit pas une cause efficiente physique de ces effets, son idée au moins en est pour ainsi dire la cause finale, ou, si vous voulez, exemplaire dans l’entendement de Dieu. Car, si on veut chercher s’il y a quelque chose de réel dans le mouvement, qu’on s’imagine que Dieu veuille exprès produire tous les changements de situation dans l’univers, tout de même comme si ce vaisseau les produirait en voguant dans l’eau ; n’est-il pas vrai qu’en effet il arriverait justement cela même ? car il n’est pas possible d’assigner aucune différence réelle. Ainsi, dans la précision métaphysique, on n’a pas plus de raison de dire que le vaisseau pousse l’eau à faire cette grande quantité de cercles servant à remplir la place du vaisseau, que de dire que l’eau est poussée à faire tous ces cercles, et qu’elle pousse le vaisseau à se remuer conformément ; mais à moins de dire que Dieu a voulu ex-