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que toute substance individuelle exprime l’univers tout entier à sa manière et sous un certain rapport, ou pour ainsi dire suivant le point de vue dont elle le regarde ; et que son état suivant est une suite (quoique libre ou bien contingente) de son état précédent, comme s’il n’y avait que Dieu et elle au monde ; ainsi, chaque substance individuelle ou être complet est comme un monde à part, indépendant de toute autre chose que de Dieu. Il n’y a rien de si fort pour démontrer non seulement l’indestructibilité de notre âme, mais même qu’elle garde toujours en sa nature les traces de tous ses états précédents avec un souvenir virtuel qui peut toujours être excité, puisqu’elle a de la conscience ou connaît en elle-même ce que chacun appelle moi. Ce qui la rend susceptible des qualités morales et de châtiment de récompense, même après cette vie. Car l’immortalité sans le souvenir n’y servirait de rien. Mais cette indépendance n’empêche pas le commerce des substances entre elles ; car comme toutes les substances créées sont une production continuelle du même souverain être selon les mêmes desseins, et expriment le même univers ou les mêmes phénomènes, elles s’entraccordent exactement, et cela nous fait dire que l’une agit sur l’autre, parce que l’une exprime plus distinctement que l’autre la cause ou raison des changements, à peu près comme nous attribuons le mouvement plutôt au vaisseau qu’à toute la mer, et cela avec raison, bien que parlant abstraitement on pourrait soutenir une autre hypothèse du mouvement, le mouvement en lui-même, et faisant abstraction de la cause, étant toujours quelque chose de relatif. C’est ainsi qu’il faut entendre, à mon avis, le commerce des substances créées entre elles, et non pas d’une influence ou dépendance réelle physique, qu’on ne saurait jamais concevoir distinctement. C’est pourquoi, quand il s’agit de l’union de l’âme et du corps et de l’action ou passion d’un esprit à l’égard d’une autre créature, plusieurs ont été obligés de demeurer d’accord que leur commerce immédiat est inconcevable. Cependant l’hypothèse des causes occasionnelles ne satisfait pas, ce me semble, à un philosophe. Car elle introduit une manière de miracle continuel, comme si Dieu à tout moment changeait les lois des corps à l’occasion des pensées des esprits, ou changeait le cours régulier des pensées de l’âme en y excitant d’autres pensées à l’occasion des mouvements du corps ; et généralement comme si Dieu s’en mêlait autrement pour l’ordinaire qu’en conservant chaque substance dans son train et dans les lois établies pour