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conçoit jamais aucune substance purement possible que sous l’idée de quelqu’une (ou par les idées comprises dans quelqu’une) de celles que Dieu a créées. » Il Vous dites aussi : « Nous nous imaginons qu’avant de créer le monde, Dieu a envisagé une infinité de choses possibles, dont il a choisi les unes et rebuté les autres : plusieurs Adams (premiers hommes) possibles, chacun avec une grande suite de personnes avec qui il a une liaison intrinsèque ; et nous supposons que la liaison de toutes ces autres choses avec un de ces Adams (premiers hommes) possibles est toute semblable à celle qu’a eue l’Adam créé avec toute sa postérité ; ce qui nous fait penser que c’est celui-là de tous les Adams possibles que Dieu a choisi, et qu’il n’a point voulu de tous les autres. » En quoi vous semblez reconnaître, Monsieur, que ces pensées, que j’avoue pour miennes pourvu qu’on entende la pluralité des Adams et leur possibilité selon l’explication que j’ai donnée, et qu’on prenne tout cela selon notre manière de concevoir quelque ordre dans les pensées ou opérations que nous attribuons à Dieu), entrent assez naturellement dans l’esprit, quand on pense un peu à cette matière, et même ne sauraient être évitées, et peut-être ne vous ont déplu que parce que vous avez supposé qu’on ne pourrait pas concilier la liaison intrinsèque qu’il y a avec les décrets libres de Dieu. Tout ce qui est actuel peut être conçu comme possible, et si l’Adam actuel aura avec le temps une telle postérité, on ne saurait nier ce même prédicat à cet Adam conçu comme possible, d’autant plus que vous accordez que Dieu envisage en lui tous ces prédicats, lorsqu’il détermine de le créer. Ils lui appartiennent donc, et je ne vois pas que ce que vous dites de la réalité des possibles y soit contraire. Pour appeler quelque chose possible, ce m’est assez qu’on en puisse former une notion, quand elle ne serait que dans l’entendement divin, qui est pour ainsi dire le pays des réalités possibles. Ainsi, en parlant des possibles, je me contente qu’on en puisse former des propositions véritables, comme l’on peut juger, par exemple, qu’un carré parfait n’implique point de contradiction, quand même il n’y aurait point de carré parfait au monde. Et si on voulait rejeter absolument les purs possibles, on détruirait la contingence et la liberté ; car, s’il n’y avait rien de possible que ce que Dieu a créé effectivement, ce que Dieu a créé serait nécessaire, et Dieu, voulant créer quelque chose, ne pourrait créer que cela seul, sans avoir la liberté du choix.

Tout cela me fait espérer (après les explications que j’ai données