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tous les autres esprits possibles ; mais je n’en ai qu’une expérience confuse. Cela fait que, quoiqu’il soit aisé de juger que le nombre des pieds du diamètre n’est pas enfermé dans la notion de la sphère en général, il n’est pas si aisé de juger certainement (quoiqu’on le puisse juger assez probablement) si le voyage que j’ai dessein de faire est enfermé dans ma notion, autrement il serait aussi aisé d’être prophète que d’être géomètre. Cependant, comme l’expérience ne me saurait faire connaître une infinité de choses insensibles dans les corps, dont la considération générale de la nature du corps et du mouvement me peut convaincre ; de même, quoique l’expérience ne me fasse pas sentir tout ce qui est enfermé dans ma notion, je puis connaître en général que tout ce qui m’appartient y est enfermé par la considération générale de la notion individuelle.

Certes, puisque Dieu peut former et forme effectivement cette notion complète, qui enferme ce qui suffit pour rendre raison de tous les phénomènes qui n’arrivent, elle est donc possible, et c’est la véritable notion complète de ce que j’appelle moi, en vertu de laquelle tous mes prédicats m’appartiennent comme à leur sujet. On pourrait donc le prouver tout de même sans faire mention de Dieu, qu’autant qu’il faut pour marquer ma dépendance ; mais on exprime plus fortement cette vérité en tirant la notion dont il s’agit de la connaissance divine comme de sa source. J’avoue qu’il y a bien des choses dans la science divine que nous ne saurions comprendre, mais il me semble qu’on n’a pas besoin de s’y enfoncer pour résoudre notre question. D’ailleurs, si dans la vie de quelque personne et même dans tout cet univers quelque chose allait autrement qu’elle ne va, rien ne nous empêcherait de dire que ce serait une autre personne ou un autre univers possible que Dieu aurait choisi. Ce serait donc véritablement un autre individu, il faut aussi qu’il y ait une raison à priori (indépendante en mon expérience), qui fasse qu’on dit véritablement que c’est moi qui ai été à Paris et que c’est encore moi, et non un autre, qui suis maintenant en Allemagne, et par conséquent il faut que la notion de moi lie ou comprenne ces différents états. Autrement, on pourrait dire que ce n’est pas le même individu, quoiqu’il paraisse de l’être. Et, en effet, quelques philosophes qui n’ont pas assez connu la nature de la substance et des êtres individuels ou êtres per se ont cru que rien ne demeurait véritablement le même. Et c’est pour cela, entre autres, que je juge que les corps ne seraient pas des substances s’il n’y avait en eux que de l’étendue.