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quoad nos. Car que savons-nous présentement de la science de Dieu ? Nous savons qu’il connaît toutes choses, et qu’il les connaît toutes par un acte unique et très simple qui est son essence. Quand je dis que nous le savons, j’entends par là que nous sommes assurés que cela doit être ainsi. Mais le comprenons-nous ? et ne devons nous pas reconnaître que, quelque assurés que nous soyons que cela est, il nous est impossible de concevoir comment cela peut être ? Pouvons-nous de même concevoir que la science de Dieu étant son essence, même entièrement nécessaire et immuable, il a néanmoins la science d’une infinité de choses qu’il aurait pu ne pas avoir, parce que ces choses auraient pu ne pas être ? Il en est de même de sa volonté, qui est aussi son essence même, où il n’y a rien que de nécessaire, et néanmoins il veut et a voulu de toute éternité des choses qu’il aurait pu ne pas vouloir. Je trouve aussi beaucoup d’incertitudes dans la manière dont nous nous représentons d’ordinaire que Dieu agit. Nous nous imaginons qu’avant de vouloir créer le monde il a envisagé une infinité de choses possibles, dont il a choisi les unes et rebuté les autres ; plusieurs Adams possibles, chacun avec une grande suite de personnes et d’événements avec qui il a une liaison intrinsèque ; et nous supposons que la liaison de toutes ces autres choses avec l’un de ces Adams possibles est toute semblable à celle que nous savons qu’a eue l’Adam créé avec toute sa postérité ; ce qui nous fait penser que c’est celui-là de tous les Adams possibles que Dieu a choisi, et qu’il n’a point voulu de tous les autres. Mais sans m’arrêter à ce que j’ai déjà dit, que prenant Adam pour exemple d’une nature singulière, il est aussi peu possible de concevoir plusieurs Adams que de concevoir plusieurs moi, j’avoue de bonne foi que je n’ai aucune idée de ces substances purement possibles, c’est-à-dire que Dieu ne créera jamais. Et je suis fort porté à croire que ce sont des chimères que nous nous formons, et que tout ce que nous appelons substances possibles, purement possibles, ne peut être autre chose que la toute-puissance de Dieu, qui, étant un pur acte, ne souffre point qu’il y ait en lui aucune possibilité ; mais on en peut concevoir dans les natures qu’il a créées, parce que, n’étant pas l’être même par essence, elles sont nécessairement composées de puissance et d’acte ; ce qui fait que je les puis concevoir comme possibles : ce que je puis aussi faire d’une infinité de modifications qui sont dans la puissance de ces natures créées, telles que sont les pensées des natures intelligentes et les figures de la substance étendue. Mais je suis