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produire quelque méditation qui aurait le moindre rapport à la religion, et qui irait un peu au delà de ce qui s’enseigne aux enfants, on serait en danger de se faire une affaire, à moins que d’avoir quelque père de l’Église pour garant, qui dise la même chose in terminis ; quoique encore cela peut-être ne suffirait-il pas pour une entière assurance, surtout quand on n’a pas de quoi se faire ménager.

Si V. A. S. n’était pas un prince dont les lumières sont aussi grandes que la modération, je n’aurais eu garde de l’entretenir de ces choses ; maintenant à qui mieux s’en rapporter qu’à elle, et puisqu’elle a eu la bonté de lier ce commerce, pourrait-on sans imprudence aller choisir un autre arbitre ? D’autant qu’il ne s’agit pas tant de la vérité de quelques propositions, que de leur conséquence et tolérabilité, je ne crois pas qu’elle approuve que les gens soient foudroyés pour si peu de chose. Mais peut-être aussi que M. Arnaud n’a parlé en ces termes durs qu’en croyant que j’admettrais la conséquence qu’il a raison de trouver effrayante, et qu’il changera de langage après mon éclaircissement[1], à quoi sa propre équité pourra contribuer autant que l’autorité de V. A. Je suis avec dévotion, etc.

Leibniz au Landgrave.

12 avril 1686.
Monseigneur,

J’ai reçu le jugement de M. Arnaud, et je trouve à propos de le désabuser, si je puis, par le papier ci-joint en forme de lettre à V. A. S. ; mais j’avoue que j’ai eu beaucoup de peine de supprimer l’envie que j’avais, tantôt de rire, tantôt de témoigner de la compassion, voyant que ce bon homme paraît en effet avoir perdu une partie de ses lumières et ne petit s’empêcher d’outrer toutes choses, comme font les mélancoliques, à qui tout ce qu’ils voient ou songent paraît noir. J’ai gardé beaucoup de modération à son égard, mais je n’ai pas laissé de lui faire connaître doucement qu’il a tort. S’il à la bonté de me retirer des erreurs qu’il m’attribue et qu’il croit voir dans mon écrit, je souhaiterais qu’il supprimât les réflexions personnelles et les expressions dures que j’ai dissimulées par le respect que j’ai pour V. A. S. et par la considération que j’ai eue pour le mérite du bon homme. Cependant j’admire la différence qu’il y a entre nos santons pi-étendus, et entre les personnes du monde qui n’en affectent point l’opinion et en possèdent bien

  1. Grotefend : Et désaveu.