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nouveaux essais sur l’entendement

nature des corps en général, et encore moins une bonne pneumatique, qui comprenne la connaissance de Dieu, des âmes et des substances simples en général.

Cette connaissance des perceptions insensibles sert aussi à expliquer pourquoi et comment deux âmes humaines ou autrement deux choses d’une même espèce ne sortent jamais parfaitement semblables des mains du Créateur, et ont toujours chacune son rapport originaire aux points de vue qu’elles auront dans l’univers. Mais c’est ce qui suit déjà de ce que j’avais remarqué de deux individus ; savoir, que leur différence est toujours plus que numérique. Il y a encore un autre point de conséquence où je suis obligé de n’éloigner non seulement des sentiments de notre auteur, mais aussi de ceux de la plupart des modernes ; c’est que je crois, avec la plupart des anciens, que tous les génies, toutes les âmes, toutes les substances simples créées, sont toujours jointes à un corps, et qu’il n’y a jamais des âmes entièrement séparées. J’en ai des raisons à priori, mais on trouvera encore qu’il y a cela d’avantageux dans ce dogme, qu’il résout toutes les difficultés philosophiques sur l’état des âmes, sur leur conservation perpétuelle, sur leur immortalité et sur leur opération, la différence d’un de leurs états à l’autre n’étant jamais et n’ayant jamais été que du plus ou moins sensible, du plus parfait au moins parfait, ou à rebours, ce qui rend leur état passé ou à venir aussi explicable que celui d’à présent. On sent assez, en faisant tant soit peu de réflexion, que cela est raisonnable, et qu’un saut d’un état à un autre, infiniment différent, ne saurait être naturel. Je m’étonne qu’en quittant le naturel sans sujet, les écoles ont voulu s’enfoncer exprès dans des difficultés très grandes, et fournir de la matière aux triomphes apparents des esprits forts, dont toutes les raisons tombent tout d’un coup par cette explication des choses, où il n’y a pas plus de difficulté à concevoir la conservation des âmes (ou plutôt selon moi de l’animal), que celle qu’il y a dans le changement de la chenille en papillon, et dans la conservation de la pensée dans le sommeil, auquel Jésus-Christ a divinement bien comparé la mort. Aussi ai-je déjà dit qu’aucun sommeil ne saurait durer toujours ; et il durera moins[1] ou presque point du tout aux âmes raisonnables, qui sont toujours destinées à conserver le personnage qui leur a été donné dans la Cité de Dieu, et par consé-

  1. Gehrardt : du moins, pas de sens.