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tribuèrent à des remuements dans les terres héréditaires de l’Empereur, se trouvèrent fausses, et ceux qui y donnèrent créance furent malheureux. Rogozky, prince de Transylvanie, fut poussé par Drabitius[1] à l’entreprise de Pologne, où il perdit son armée, ce qui lui fit enfin perdre ses États avec la vie : et le pauvre Drabitius longtemps après, à l’âge de 80 ans, eut enfin la tête tranchée par ordre de l’Empereur. Cependant, je ne doute point qu’il n'y ait des gens maintenant qui fassent revivre ces prédictions mal à propos, dans la conjecture présente des désordres de la Hongrie, ne considérant point que ces prétendus prophètes parlaient des événements de leur temps ; en quoi ils feraient à peu près comme celui qui après le bombardement de Bruxelles publia une feuille volante, où il y avait un passage pris d’un livre de Mlle Antoinette, qui ne voulut point venir dans cette ville parce que (si je m’en souviens bien) elle avait songé de la voir en feu, mais ce bombardement arriva longtemps après sa mort. J’ai connu un homme qui alla en France durant la guerre, qui fut terminée par la paix de Nimègue, importuner M. de Montausier et M. de Pomponne sur le fondement des prophéties publiées par Comenius : et il se serait cru inspiré lui-même (je pense) s’il lui fût arrivé de faire ses propositions dans un temps pareil au nôtre. Ce qui fait voir non seulement le peu de fondement, mais aussi le[2] danger de ces entêtements. Les histoires sont pleines du mauvais effet des prophéties fausses ou mal entendues, comme l’on peut voir dans une savante et judicieuse dissertation, De officio viri boni circa futura contingentia que feu M. Jacobus Thomasius[3], professeur célèbre à Leipzig, donna autrefois au public. Il est vrai cependant que ces persuasions font quelquefois un bon effet et servent à de grandes choses : car Dieu se peut servir de l’erreur pour établir ou maintenir la vérité. Mais je ne crois point qu’il soit permis facilement à nous de se servir des fraudes pieuses pour une bonne fin. Et quant aux dogmes de religion, nous n’avons point besoin de nouvelles révélations ; c’est assez qu’on nous propose des règles salutaires pour que nous soyons obligés de les suivre, quoique celui qui les propose ne


    frères moraves, mort à Amsterdam en 1671.— On a de lui les ouvrages suivants Synopsis physices, Leipzig, in-8o, 1633 ; Theatrum divinum in-4o, Prague, 1616 ; Labyrinthe du monde, in-1°, 1631 ; Panegenesis, in-4o, Halle, 1702.

  1. Drabitius (1587-1671), illuminé de Bohème.
  2. Gehrardt.
  3. Thomasius (Jacques), professeur de philosophie à Leipzig (qu’il ne faut pas confondre avec le jurisconsulte Christian Thomasius, bien plus célèbre), né en 1655, mort en 1728, s’est beaucoup occupé d’histoire de la philosophie. P. J.