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sa conduite et son esprit dans ses discours. La chose alla cependant si loin, qu’elle recevait des lettres qu’on adressait à Notre-Seigneur, et elle les renvoyait cachetées comme elle les avait reçues avec la réponse. qui paraissait quelquefois faite à propos et toujours raisonnable. Mais enfin elle cessa d’en recevoir, de peur de faire trop de bruit. En Espagne, elle aurait été une autre sainte Thérèse. Mais toutes les personnes qui ont de pareilles visions n’ont pas la même conduite. Il y en a qui cherchent à faire secte et même à faire naître des troubles, et l’Angleterre en a fait une étrange épreuve. Quand ces personnes agissent de bonne foi, il est difficile de les ramener : quelquefois le renversement de tous leurs desseins les corrige, mais souvent c’est trop tard. Il y avait un visionnaire mort depuis peu qui se croyait immortel, parce qu’il était fort âgé et se portait bien, et, sans avoir lu le livre d’un Anglais publié depuis peu (qui voulait faire croire que Jésus-Christ était venu encore pour exempter de la mort corporelle les vrais croyants), il était à peu près dans les mêmes sentiments depuis longues années ; mais quand il se sentit mourir, il alla jusqu’à douter de toute la religion parce qu’elle ne répondait pas à sa chimère. Quirin Kuhlmann, Silésien[1], homme de savoir et d’esprit, mais qui avait donné depuis dans deux sortes de visions également dangereuses, l’une des enthousiastes, l’autre des alchimistes, et qui a fait du bruit en Angleterre, en Hollande et jusqu’à Constantinople, s’étant enfin avisé d’aller en Moscovie et de s’y mêler dans certaines intrigues contre le ministère, dans le temps que la princesse Sophie y gouvernait, fut condamné au feu et ne mourut pas en homme persuadé de ce qu’il avait prêché. Les dissensions de ces gens entre eux les devraient encore convaincre que leur prétendu témoignage interne n’est point divin, et qu’il faut d’autres marques pour le justifier. Les Labbadistes[2], par exemple, ne s’accordent pas avec Mlle Antoinette, et quoique William Pen paraisse avoir eu dessein dans son voyage d’Allemagne, dont on a publié une relation, d’établir une espèce d’intelligence entre ceux qui se fondent sur ce témoignage, il ne parait pas qu’il ait réussi. Il serait à souhaiter, à la verité, que les gens de bien fussent

  1. Kuhlmann (1691~1669), illuminé, voulut épouser Antoinette Bouriguon, qui le refusa.
  2. Les Labbadistes, secte communiste, fondée par de Labadie, qui, de cathotique romain, se fit protestant. Sa doctrine avait de l’analogie avec celle des Anabaptistes.