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convaincu que cette commission lui était donnée de la part de Dieu. § 16. Je ne nie cependant pas que Dieu n’illumine quelquefois l’esprit des hommes pour leur faire comprendre certaines vérités importantes ou pour les porter à de bonnes actions, par l’influence et l’assistance immédiate du Saint-Esprit, sans aucuns signes extraordinaires qui accompagnent cette influence. Mais aussi dans ces cas nous avons la raison et l’Écriture, deux règles infaillibles pour juger de ces illuminations, car, si elles s’accordent avec ces règles, nous ne courrons du moins aucun risque en les regardant comme inspirées de Dieu, encore que ce ne soit peut-être pas une révélation immédiate.

Th. L’enthousiasme était au commencement un bon nom. Et comme le sophisme marque proprement un exercice de la sagesse, l’enthousiasme signifie qu’il y a une divinité en nous. Est Deus in nobis. Et Socrate[1] prétendait qu’un Dieu ou démon lui donnait des avertissements intérieurs, de sorte qu’enthousiasme serait un instinct divin. Mais les hommes ayant consacré leurs passions, leurs fantaisies, leurs songes et jusqu’à leur fureur pour quelque chose de divin, l’enthousiasme commença à signifier un dérèglement d’esprit, attribué il la force de quelque divinité, qu’on supposait dans ceux qui en étaient frappés, car les devins et les devineresses faisaient paraître une aliénation d’esprit, lorsque leur dieu s’emparait d’eux, comme la Sibylle de Cumes chez Virgile. Depuis on l’attribue à ceux qui croient sans fondement que leurs mouvements viennent de Dieu, Nisus chez le même poète se sentant poussé par je ne sais quelle impulsion à une entreprise dangereuse, où il périt avec son ami, la lui propose en ces termes pleins d’un doute raisonnable :

« Di ne hunc ardorem mentibus addunt,
Euryale, an sua cuique Deus fit dira cupido ? »

Il ne laissa pas de suivre cet instinct, qu’il ne savait pas s’il venait de Dieu ou d’une malheureuse envie de se signaler. Mais s’il avait réussi, il n’aurait point manqué de s’en autoriser dans un autre cas et de se croire poussé par quelque puissance divine. Les enthousiastes d*aujourd’hui croient recevoir encore de Dieu des dogmes

  1. Socrate, célèbre philosophe grec, né à Athènes 470 av. J.-C., mort en 399, condamné à boire la ciguë. Socrate n’a rien écrit ; nous connaissons ses opinions par les Mémorables de Xénophon et par les Dialogues de Platon. Voir le Dictionnaire des sciences philosophiques. P. J.