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Puccius [1] allait trop loin. Saint Augustin, tout habile et pénétrant qu’il a été, s’est jeté dans une autre extrémité, jusqu’à condamner les enfants morts sans baptême, et les scolastiques paraissent avoir eu raison de l’abandonner ; quoique des personnes habiles d’ailleurs, et quelques-unes d’un grand mérite, mais d’une humeur un peu misanthrope à cet égard, aient voulu ressusciter cette doctrine de ce Père et l’aient peut-être outrée. Et cet esprit peut avoir eu quelque influence dans la dispute entre plusieurs docteurs trop animés ; et les jésuites missionnaires de la Chine, ayant insinué que les anciens Chinois avaient eu la vraie religion de leur temps et des vrais saints et que la doctrine de Confucius n’avait rien d’idolâtre ni athée, il semble qu’on a eu plus de raison à Rome de ne pas vouloir condamner une des plus grandes nations sans l’entendre. Bien nous en prend que Dieu est plus philanthrope que les hommes. Je connais des personnes qui, croyant marquer leur zèle par des sentiments durs, s’imaginent qu’on ne saurait croire le péché originel sans être de leur opinion, mais c’est en quoi ils se trompent. Et il ne s’ensuit point que ceux qui sauvent les païens ou autres, qui manquent des secours ordinaires, le doivent attribuer aux seules forces de la nature (quoique peut-être quelques Pères aient été de cet avis), puisqu’on peut soutenir que Dieu, en leur donnant la grâce d’exciter un acte de contrition, leur donne aussi, soit explicitement, soit virtuellement, mais toujours surnaturellement, avant que de mourir, quand ce ne serait qu’aux derniers moments, toute la lumière de la foi et toute l’art leur de la charité qui leur est nécessaire pour le salut. Et c’est ainsi que des réformes expliquent chez Vedelius le sentiment de Zwinglius, qui avait été aussi exprès sur ce point du salut des hommes vertueux du paganisme, que les docteurs de l’Église romaine l’ont pu être. Aussi cette doctrine n’a-t-elle rien de commun pour cela avec la doctrine particulière des pélagiens ou des demi-pélagiens dont ou sait que Zwingle était fort éloigné. Et puisqu’on enseigne contre les pélagiens une grâce surnaturelle en tous ceux qui ont la foi (en quoi conviennent les trois religions reçues, excepté peut-être les disciples de M. Pajon[2], et qu’on accorde même

  1. Pucci (François), théologien du XVIe siècle siècle, inclinant au socinianisme, né à Florence, mort en 1600 après s’être rétracté. On a de lui un traité De Immortalitate naturali primi hominis ante peccatum et De Christi salvatoris efficacitate, etc. Gouda, 1592, in-8o. P. J.
  2. Pajon (Claude), théologien protestant, né à Romorantin en 1626, mort près d’Orléaus en 1684. Ses opinions se rapprochaient de celles d’Arminius.