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préface

suites qu’on ne pense. Ce sont elles qui forment ce je ne sais quoi, ces goûts, ces images des qualités des sens, claires dans l’assemblage, mais confuses dans les parties ; ces impressions que les corps environnants font sur nous et qui enveloppent l’infini ; cette liaison que chaque être a avec tout le reste de l’univers. On peut même dire qu’en conséquence de ces petites perceptions le présent est gros de l’avenir et chargé du passe, que tout est conspirant (σύμπνοια πάντα, comme disait Hippocrate)[1], et que dans la moindre des substances, des yeux aussi perçants que ceux de Dieu, pourraient lire toute la suite des choses de l’univers,

Quæ sint, quæ fuerint, quæ mox futura trahantur.[2]

Ces perceptions insensibles marquent encore et constituent le même individu, qui est caractérisé par les traces ou expressions qu’elles conservent des états précédents de cet individu, en faisant la connexion avec son état présent, qui se peuvent connaître par un esprit supérieur, quand même cet individu ne les sentirait pas, c’est-à-dire lorsque le souvenir exprès n’y serait plus. Mais elles (ces perceptions, dis-je), donnent même le moyen de retrouver le souvenir au besoin par des développements périodiques, qui peuvent arriver un jour. C’est pour cela que la mort ne saurait être qu’un sommeil, et même ne saurait en demeurer un, les perceptions cessant seulement à être assez distinguées et se réduisant à un état de confusion dans les animaux, qui suspend l’aperception, mais qui ne saurait durer toujours, pour ne parler ici de l’homme qui doit avoir des grands privilèges pour garder sa personnalité.

C’est aussi par les perceptions insensibles que s’explique cette admirable harmonie préétablie de l’âme et du corps, et même de toutes les monades ou substances simples, qui supplée à l’influence insoutenable des unes sur les autres, et qui, au jugement de l’auteur du plus beau des dictionnaires, exalte la grandeur des perfections

  1. Hipocrate, le plus grand médecin de l’antiquité, né dans l’île de Cos en 460 avant Jésus-Christ ; on ne sait l’époque de sa mort ; mais il parvint à un âge avancé. Ses théories ont perdu toute leur valeur ; mais ses observations sont admirables. La première édition complète de ses œuvres est de Venise, 1526. La dernière est celle de Littré, avec traduction, 1839-1851.
  2. Le vers est évidemnent faux, la première syllabe de futura étant brève. Cependant, c’est le texte donné par Gehrardt dans son édition collationnée avec le manuscrit. Amédée Jacques, dans son édition (2 vol., 1842), a remplacé fŭtūra par vēntūra.