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nouveaux essais sur l’entendement

empiriques seulement. Mais ils s’élèvent au-dessus des bêtes, en tant qu’ils voient les liaisons des vérités ; les liaisons, dis-je, qui constituent encore en elles-mêmes des vérités nécessaires et universelles. Ces liaisons sont même nécessaires quand elles ne produisent qu’une opinion, lorsqu’après une exacte recherche la prévalence de la probabilité, autant qu’on en peut juger, peut être démontrée ; de sorte qu’il y a démonstration alors, non pas de la vérité de la chose, mais du parti que la prudence veut qu’on prenne. En partageant cette faculté de la raison, je crois qu’on ne fait pas mal d’en reconnaître deux parties, suivant un sentiment assez reçu qui distingue l’invention et le jugement. Quant à vos quatre degrés que vous remarquez dans les démonstrations des mathématiques, je trouve qu’ordinairement le premier, qui est de découvrir les preuves, n’y paraît pas comme il serait à souhaiter. Ce sont des synthèses qui ont été trouvées quelquefois sans analyse, et quelquefois l’analyse a été supprimée. Les géomètres, dans leurs démonstrations, mettent premièrement la proposition qui doit être prouvée, et pour venir à la démonstration ils exposent par quelque figure ce qui est donné. C’est qu’on appelle ecthèse. Après quoi ils viennent à la préparation et tracent de nouvelles lignes dont ils ont besoin pour le raisonnement ; et souvent le plus grand art consiste à trouver cette préparation. Cela fait, ils font le raisonnement même, en tirant des conséquences de ce qui était donné dans l’ecthèse et de ce qui y a été ajouté par la préparation ; et employant pour cet effet les vérités déjà connues ou démontrées, ils viennent à la conclusion. Mais il y a des cas où l’on se passe de l’ecthèse et de la préparation.

§ 4. Ph. On croit généralement que le syllogisme est le grand instrument de la raison et le meilleur moyen de mettre cette faculté en usage. Pour moi j’en doute, car il ne sert qu’à voir la connexion des preuves dans un seul exemple et non au delà : mais l’esprit la voit aussi facilement et peut-être mieux sans cela. Et ceux qui savent se servir des figures et des modes, en supposent le plus souvent l’usage par une foi implicite pour leurs maîtres, sans en entendre la raison. Si le syllogisme est nécessaire, personne ne connaissait quoi que ce soit par raison avant son invention, et il faudra dire que Dieu ayant fait de l’homme une créature à deux jambes, a laissé à Aristote le soin d’en faire un animal raisonnable ; je veux dire, de ce petit nombre d’hommes qu’il pourrait engager à examiner les fondements des syllogismes, où entrent plus de 60 manières de former les trois