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nouveaux essais sur l’entendement

sur toutes sortes de jeux, ce qui serait de grand usage pour perfectionner l’art d’inventer, l’esprit humain paraissant mieux dans les jeux que dans les matières plus sérieuses.

§ 40. Ph. La loi d’Angleterre observe cette règle, que la copie d’un acte reconnue authentique par des témoins est une bonne preuve ; mais la copie d’une copie, quelque attestée qu’elle soit et par les témoins les plus accrédités, n’est jamais admise pour preuve en jugement. Je n’ai encore ouï blâmer à personne cette sage précaution. On en peut tirer au moins cette observation, qu’un témoignage a moins de force à mesure qu’il est plus éloigné de la vérité originale, qui est dans la chose même ; au lieu que chez certaines gens on en use d’une manière directement contraire. Les opinions acquièrent des forces en vieillissant, et ce qui n’aurait pas paru probable à un homme raisonnable, contemporain de celui qui l’a certifié le premier, passe présentement pour certain parce que plusieurs l’ont rapporté sur son témoignage.

Th. Les critiques en matière d’histoire ont grand égard aux témoins contemporains des choses : cependant un contemporain même ne mérite d’être cru que principalement sur les événements publics ; mais quand il parle des motifs, des secrets, des ressorts cachés, et des choses disputables, comme par exemple des empoisonnements, des assassinats, on apprend au moins ce que plusieurs ont cru. Procope est fort croyable quand il parle de la guerre de Bélisaire contre les Vandales et les Goths ; mais quand il débite des médisances horribles contre l’impératrice Théodore dans ses Anecdotes, les croie qui voudra. Généralement on doit être réservé à croire les satires : nous en voyons qu’on a publiées de notre temps, contraires à toute apparence, qui ont pourtant été gobées avidement par les ignorants. Et on dira peut-être un jour : Est-il possible qu’on aurait osé publier ces choses en ce temps-là, s’il n’y avait quelque fondement apparent ? Mais si on le dit un jour, on jugera fort mal. Le monde cependant est incliné à donner dans le satirique ; et pour n’en alléguer qu’un exemple, feu M. du Maurier le fils [1] ayant publié, par je ne sais quel travers, dans ses mémoires imprimés il y a quelques années, certaines choses tout à fait mal fondées, contre l’incomparable Hugo Grotius, ambassadeur de la

  1. Louis Aubery du Maurier, historien mort en 1687, fils de Benjamin du Maurier, ambassadeur en Hollande, publia des Mémoires pour servir à l’histoire de la Hollande.