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nouveaux essais sur l’entendement

viennent à des preuves entières, ou qui passent pour telles, sur lesquelles on prononce au moins en matière civile, mais où en quelques lieux on est plus réservé en matière criminelle ; et on n’a pas tort de demander des preuves plus que pleines et surtout ce qu’on appelle corpus delicti, selon la nature du fait. Il y a donc preuves plus que pleines, et il y a aussi des preuves pleines ordinaires. Puis il y a présomptions, qui passent pour preuves entières provisionnellement, c’est-à-dire tandis que le contraire n’est point prouvé. Il y a preuves plus que demi-pleines (à proprement parler) où l’on permet à celui qui s’y fonde de jurer pour y suppléer ; c’est juramentum suppletorium. Il y en a d’autres moins que demi-pleines, où tout au contraire on défère le serment à celui qui nie le fait pour se purger ; c’est juramentum progationis. Hors de cela, il y a quantité de degrés des conjectures et des indices. Et particulièrement en matière criminelle il y a indices (ad torturam) pour aller à la question (laquelle a elle-même ses degrés marqués par les formules de l’arrêt) ; il y a indices (ad terrendum) suffisants à faire montrer les instruments de la torture et préparer les choses comme si l’on y voulait venir. Il y en a (ad capturam) pour s’assurer d’un homme suspect ; et (ad inquirendum) pour s’informer sous main et sans bruit. Et ces différences peuvent encore servir en d’autres occasions proportionnelles ; et toute la forme des procédures en justice n’est autre chose en effet qu’une espèce de logique, appliquée aux questions de droit. Les médecins encore ont quantité de degrés et de différences de leurs signes et indications, qu’on peut voir chez eux. Les mathématiciens de notre temps ont commencé à estimer les hasards à l’occasion des jeux. Le chevalier de Méré[1], dont les Agréments et autres ouvrages ont été imprimés, homme d’un esprit pénétrant et qui était joueur et philosophe, y donna occasion en formant des questions sur les partis, pour savoir combien vaudrait le jeu, s’il était interrompu dans un tel ou tel état. Par là il engagea M.  Pascal[2] (2), son ami, à examiner un peu ces choses. La question

  1. Méré (chevalier de), célèbre au xviie siècle, par l’agrément de son esprit ami de Pascal et de Balzac. Ses œuvres ont été publiées à Amsterdam en 1692, 2  vol. petit in-8o. P. J.
  2. Pascal, illustre écrivain et philosophe français, né à Clermont en 1623, mort à Paris en 1662. Ses deux principaux ouvrages sont les Provinciales et les Pensées. M.  Cousin, dans son célèbre Rapport à l’Académie française, a démontré que le texte de ce dernier ouvrage avait été gravement altéré par les premiers éditeurs de P.-Royal. Nous en avons aujourd’hui deux éditions fidèles : 1e celle de M.  Faugère, 2  vol. in-8o ; 2e celle de M.  Havet, un vol.  in-8o. P. J.