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de la connaissance

garde que les fondements de probabilité que nous avons n’opèrent point en cela au delà du degré de l’apparence qu’on y trouve, ou qu’on y a trouvé lorsqu’on l’a examinée. Car il faut avouer que l’assentiment ne saurait être toujours fondé sur une vue actuelle des raisons, qui ont prévalu dans l’esprit et il serait très difficile, même à ceux qui ont une mémoire admirable, de toujours retenir toutes les preuves qui les ont engagés dans un certain sentiment et qui pourraient quelquefois remplir un volume sur une seule question. Il suffit qu’une fois ils aient épluché la matière sincèrement et avec soin et qu’ils aient, pour ainsi dire, arrêté le compte. § 2. Sans cela il faudrait que les hommes fussent fort sceptiques, ou changeassent d’opinion à tout moment, pour se rendre à tout homme qui, ayant examiné la question depuis peu, leur propose des arguments auxquels ils ne sauraient satisfaire entièrement sur-le-champ, faute de mémoire ou d’application à loisir. § 3. Il faut avouer que cela rend souvent les hommes obstinés dans l’erreur : mais la faute est non pas de ce qu’ils se reposent sur leur mémoire, mais de ce qu’ils ont mal jugé auparavant. Car souvent il tient lieu d’examen et de raison aux hommes, de remarquer qu’ils n’ont jamais pensé autrement. Mais ordinairement ceux qui ont le moins examiné leurs opinions y sont les plus attachés. Cependant l’attachement à ce qu’on a vu est louable, mais non pas toujours à ce qu’on a cru, parce qu’on peut avoir laissé quelque considération en arrière capable de tout renverser. Et il n’y a peut-être personne au monde qui ait le loisir, la patience et les moyens d’assembler toutes les preuves de part et d’autre sur les questions, où il a ses opinions, pour comparer ces preuves et pour conclure sûrement qu’il ne lui reste plus rien à savoir pour une plus ample instruction. Cependant le soin de notre vie et de nos plus grands intérêts ne saurait souffrir de délai, et il est absolument nécessaire que notre jugement se détermine sur des articles où nous ne sommes pas capables d’arriver à une connaissance certaine.

Th. Il n’y a rien que de bon et de solide dans ce que vous venez de dire, Monsieur. Il serait à souhaiter cependant que les hommes eussent en quelques rencontres des abrégés par écrit (en forme de mémoires) des raisons qui les ont portés à quelque sentiment de conséquence qu’ils sont obligés de justifier souvent dans la suite à eux-mêmes ou aux autres. D’ailleurs, quoiqu’en matière de justice il ne soit pas ordinairement permis de rétracter les jugements qui