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nouveaux essais sur l’entendement

faire particulièrement dans la morale, comme j’ai dit plus d’une fois.

Th. Je crois que vous avez raison, Monsieur, et je suis disposé depuis longtemps à me mettre en devoir d’accomplir vos prédictions.

§ 9. Ph. À l’égard de la connaissance des corps, il faut prendre une route directement contraire ; car, n’ayant aucunes idées de leurs essences réelles, nous sommes obligés de recourir à l’expérience. § 10. Cependant je ne nie pas qu’un homme accoutumé à faire des expériences raisonnables et régulières ne soit capable de former des conjectures plus justes qu’un autre sur leurs propriétés encore inconnues. Mais c’est jugement et opinion et non connaissance et certitude. Cela me fait croire que la physique n’est pas capable de devenir science entre nos mains. Cependant les expériences et les observations historiques peuvent nous servir par rapport à la santé de nos corps et aux commodités de la vie.

Th. Je demeure d’accord que la physique entière ne sera jamais une science parfaite parmi nous, mais nous ne laisserons pas de pouvoir avoir quelque science physique et même nous en avons déjà des échantillons. Par exemple, la magnétologie peut passer pour une telle science, car, faisant peu de suppositions fondées dans l’expérience, nous en pouvons démontrer par une conséquence certaine quantité de phénomènes, qui arrivent effectivement comme nous voyons que la raison le porte. Nous ne devons pas espérer de rendre raison de toutes les expériences, comme même les géomètres n’ont pas encore prouvé tous leurs axiomes ; mais de même qu’ils se sont contentés de déduire un grand nombre de théorèmes d’un petit nombre de principes de la raison, c’est assez aussi que les physiciens par le moyen de quelques principes d’expérience rendent raison de quantité de phénomènes et peuvent même les prévoir dans la pratique.

§ 11. Ph. Puis donc que nos facultés ne sont pas disposées à nous faire discerner la fabrique intérieure des corps, nous devons juger que c’est assez qu’elles nous découvrent l’existence de Dieu et une assez grande connaissance de nous-mêmes pour nous instruire de nos devoirs et de nos plus grands intérêts par rapport surtout à l’éternité. Et je crois être en droit d’inférer de là que « la morale est la propre science et la grande affaire des hommes en général, comme d’autre part les différents arts, qui regardent différentes parties de la nature, sont le partage des particuliers ». On peut