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nouveaux essais sur l’entendement

Mais, quand on croit la matière susceptible de sentiment, on pourra être disposé à croire qu’il n’est point impossible qu’elle le puisse produire. Au moins il sera difficile d’en apporter une preuve, qui ne fasse voir en même temps qu’elle en est incapable tout à fait ; et supposé que notre pensée vienne d’un être pensant, peut-on prendre pour accordé, sans préjudice de la démonstration, que ce doit être Dieu ?

§ 7. Ph. Je ne doute point que l’excellent homme dont j’ai emprunté cette démonstration, ne soit capable de la perfectionner ; et je tâcherai de l’y porter, puisqu’il ne saurait guère rendre un plus grand service au public. Vous-même le souhaitez. Cela me fait croire que vous ne croyez point que, pour fermer la bouche aux athées on doit faire rouler tout sur l’existence de l’idée de Dieu en nous, comme font quelques-uns, qui s’attachent trop fortement à cette découverte favorite, jusqu’à rejeter toutes les autres démonstrations de l’existence de Dieu, ou du moins a tâcher de les affaiblir et à défendre de les employer, comme si elles étaient faibles ou fausses : quoique dans le fond ce soient des preuves qui nous font voir si clairement et d’une manière convaincante l’existence de ce souverain Être par la considération de notre propre existence et des parties sensibles de l’Univers, que je ne pense qu’un homme sage y doive résister.

Th. Quoique je sois pour les idées innées et particulièrement pour celle de Dieu, je ne crois point que les démonstrations des Cartésiens, tirées de l’idée de Dieu, soient parfaites. J’ai montré amplement ailleurs (dans les Actes de Leipsick et dans les mémoires de Trévoux) que celle de M. Descartes a empruntée d’Anselme (1), archevêque de Cantorbéry, est très belle et très ingénieuse à la vérité, mais qu’il y a un vide à remplir. Ce célèbre archevêque, qui a sans doute été un des plus capables hommes de son temps, se félicite, non sans raison, d’avoir trouvé un moyen de prouver l’existence de Dieu à priori, par sa propre notion, sans recourir à ses effets. Et voici à peu près la force de son argument : Dieu est le plus grand, ou (comme parle Descartes) le plus parfait des êtres, ou bien c’est un être d’une grandeur et d’une perfection suprême, qui en enveloppe tous les degrés. C’est la la notion de Dieu. Voici maintenant comment l’existence suit de cette notion. C’est quelque chose de plus d’exister que de ne pas exister, ou bien l’existence ajoute un degré à la grandeur ou à la perfection, et comme l’énonce M. Descartes, l’existence est