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de la connaissance

assez déraisonnable pour supposer que l’homme est le seul être qui ait de la connaissance et de la sagesse, mais que néanmoins il a été formé par le pur hasard, et que c’est ce même principe aveugle et sans connaissance qui conduit tout le reste de l’univers, je l’avertirai à l’examiner à loisir la censure tout à fait solide et pleine d’emphase de Cicéron (De legibus, lib.  II). Certainement, dit-il, personne ne devrait être si sottement orgueilleux que de s’imaginer qu’il y a au dedans de lui un entendement et de la raison, et que cependant il n’y a aucune intelligence qui gouverne tout ce vaste univers. De ce que je viens de dire, il s’ensuit clairement que nous avons une connaissance plus certaine de Dieu, que de quelque autre chose que ce soit hors de nous.

Th. Je vous assure, Monsieur, avec une parfaite sincérité, que je suis extrêmement fâché d’être obligé de dire quelque chose contre cette démonstration ; mais je le fais seulement afin de vous donner occasion de remplir le vide. C’est principalement à l’endroit où vous concluez (§ 3) que quelque chose a existé de toute éternité. J’y trouve de l’ambiguïté, si cela veut dire qu’il n’y ait jamais eu aucun temps où rien n’existait. J’en demeure d’accord, et cela suit véritablement les précédentes propositions, par une conséquence toute mathématique. Car, si jamais il y avait eu rien, il y aurait toujours eu rien, le rien ne pouvant point produire un être ; donc nous-mêmes ne serions pas, ce qui est contre la première vérité d’expérience. Mais la suite fait voir d’abord que, disant que quelque chose a existé de toute éternité, vous entendez une chose éternelle. Cependant il ne s’ensuit point, en vertu de ce que vous avez avancé jusqu’ici, que s’il y a toujours eu quelque chose, il y a toujours eu une certaine chose, c’est-à-dire qu’il y a un Être éternel. Car quelques adversaires diront que moi, j’ai éte produit par d’autres choses, et ces choses encore par d’autres. De plus, si quelques-uns admettent des êtres éternels (comme les épicuriens leurs atomes), ils ne se croiront pas être obligés pour cela d’accorder un Être éternel qui soit seul la source de tous les autres. Car, quand ils reconnaîtraient que ce qui donne l’existence donne aussi les autres qualités et puissances de la chose, ils nieront qu’une seule chose donne l’existence aux autres, et ils diront même qu’à chaque chose plusieurs autres doivent concourir. Ainsi nous n’arriverons pas par cela seul à une source de toutes les puissances. Cependant il est très raisonnable de juger qu’il y en a une, et même que l’univers est gouverné avec sagesse.