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nouveaux essais sur l’entendement

deux voies et de pas se plaindre des répétitions dans une matière si délicate et si importante comme est la médecine, où je trouve qu’il nous manque ce que nous avons de trop à mon avis dans la jurisprudence, c’est-à-dire des livres, des cas particuliers et des répertoires de ce qui a déjà été observe ; car je crois que la millième partie des livres jurisconsultes nous suffirait, mais que nous n’aurions rien de trop en matière de médecine, si nous avions mille fois plus d’observations bien circonstanciées. C’est que la jurisprudence est toute fondée en raison à l’égard de ce qui n’est pas expressément marqué par les lois ou par les coutumes. Car on le peut toujours tirer ou de la loi ou du droit naturel au défaut de la loi par le moyen de la raison. Et les lois de chaque pays sont finies et déterminées, ou peuvent le devenir ; au lien qu’en médecine les principes d’expérience, c’est-à-dire les observations, ne sauraient être trop multipliées pour donner plus d’occasion à la raison de déchiffrer ce que la nature ne nous donne à connaître qu’à demi. Au reste, je ne sache personne qui emploie les axiomes de la manière que l’auteur habile dont vous parlez le fait faire (§ 16, 17) comme si quelqu’un, pour démontrer à un enfant qu’un nègre est un homme se servait du principe : ce qui est, est ; en disant : Un nègre a l’âme raisonnable ; or l’âme raisonnable et l’homme est la même chose, et par conséquent si, ayant l’âme raisonnable, à n’était pas homme, il serait faux que ce qui est est, ou bien une même chose serait et ne serait pas en même temps. Car, sans employer ces maximes, qui ne sont point de saison ici et n’entrent pas directement dans le raisonnement, comme aussi elles n’y avancent rien, tout le monde se contentera de raisonner ainsi : un nègre a l’âme raisonnable ; quiconque a l’âme raisonnable est un homme, donc le nègre est un homme. Et, si quelqu’un prévenu qu’il n’y a point d’âme raisonnable quand elle ne nous paraît point, concluait que les enfants qui viennent de naître et les imbéciles ne sont point de l’espèce humaine (comme en effet l’auteur rapporte d’avoir discouru avec des personnes fort raisonnables qui le niaient), je ne crois point que le mauvais usage de la maxime, qu’il est impossible qu’une chose soit et ne soit pas, les séduirait, ni qu’ils y pensent même en faisant ce raisonnement. La source de leur erreur serait une extension du principe de notre auteur, qui nie qu’il y a quelque chose dans l’âme dont elle ne s’aperçoit pas, au lieu que ces messieurs iraient jusqu’à nier l’âme même, lorsque d’autres ne l’aperçoivent point.