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nouveaux essais sur l’entendement

nous paraît contraire à la vérité, il faut leur rendre la justice de soupçonner qu’il y a plus de défaut dans leurs expressions que dans leurs sentiments : c’est ce qui se confirme ici dans notre auteur, dont je commence à entrevoir le motif qui l’anime contre les maximes ; et c’est qu’effectivement dans les discours ordinaires, où il ne s’agit point de s’exercer comme dans les écoles, c’est chicaner que de vouloir être convaincu pour se rendre ; d’ailleurs, le plus souvent on y a meilleure grâce de supprimer les majeures qui s’entendent et de se contenter des enthymèmes ; et même, sans former des prémisses, il suffit souvent de mettre le simple medius terminus ou l’idée moyenne, l’esprit en comprenant assez la liaison, sans qu’on l’exprime. Et cela va bien, quand cette liaison est incontestable : mais vous m’avouerez aussi, Monsieur, qu’il arrive souvent qu’on va trop vite à la supposer, et qu’il en naît des paralogismes, de sorte qu’il vaudrait mieux bien souvent d’avoir égard à la sûreté, en s’exprimant, que de lui préférer la brièveté et l’élégance. Cependant la prévention de votre auteur contre les maximes lui a fait rejeter tout à fait leur utilité pour l’établissement de la vérité, et va jusqu’à les rendre complices des désordres de la conversation. Il est vrai que les jeunes gens qui se sont accoutumés aux exercices académiques, où l’on s’occupe un peu trop à s’exercer et pas assez à tirer de l’exercice le plus grand fruit qu’il doit avoir, qui est la connaissance, ont de la peine à s’en défaire dans le monde. Et une de leurs chicanes est de ne vouloir point se rendre à la vérité, que lorsqu’on la leur a rendue tout à fait palpable, quoique la sincérité et même la civilité les dût obliger de ne pas attendre des extrémités qui les font devenir incommodes et en donnent mauvaise opinion. Et il faut avouer que c’est un vice dont les gens de lettres se trouvent souvent infectés. Cependant la faute n’est pas de vouloir réduire les vérités aux maximes, mais de le vouloir faire à contre-temps et sans besoin ; car l’esprit humain envisage beaucoup tout d’un coup, et c’est le gêner que de le vouloir obliger à s’arrêter chaque pas qu’il fait et à exprimer tout ce qu’il pense. C’est justement comme si, en faisant son compte avec un marchand ou avec un hôte, on le voulait obliger de tout compter avec les doigts pour en être plus sûr. Et, pour demander cela, il faudrait être stupide ou capricieux. En effet, quelquefois on trouve que Pétrone a eu raison de dire adolescentes in scholis stultissimos fieri [1], que les jeunes gens devien-

  1. Satyricon, ch.  i.