Car, pourvu que le raisonnement soit bon, il n’importe qu’on le fasse tacitement dans son cabinet, ou qu’on l’établisse publiquement en chaire. Et, quand même ces principes seraient plutôt des demandes que des axiomes, prenant les demandes, non pas comme Euclide, mais comme Aristote, c’est-à-dire comme des suppositions qu’on veut accorder, en attendant qu’il y ait lieu de les prouver, ces principes auraient toujours cet usage, que par ce moyen toutes les autres questions seraient réduites à un petit nombre de propositions. Ainsi je suis le plus surpris du monde de voir blâmer une chose louable par je ne sais quelle prévention, dont on voit bien, par l’exemple de votre auteur, que les plus habiles hommes sont susceptibles faute d’attention. Par malheur on fait tout autre chose dans les disputes académiques. Au lieu d’établir des axiomes généraux, on fait tout ce qu’on petit pour les affaiblir par les distinctions vaines et peu entendues, et l’on se plaît à employer certaines règles philosophiques dont il y a de grands livres tout pleins, mais qui sont peu sûres et peu déterminées, et qu’on a le plaisir d’éluder en les distinguant. Ce n’est pas le moyen de terminer les disputes, mais de les rendre infinies et de lasser enfin l’adversaire. Et c’est comme si on le menait dans un lieu obscur ou l’on frappe à tort et à travers et où personne ne peut juger des coups. Cette invention est admirable pour les soutenants (respondentes) qui se sont engagés à soutenir certaines thèses. C’est un bouclier de Vulcain qui les rend invulnérables, c’est Orci galea, le heaume de Pluton, qui les rend invisibles. Il faut qu’ils soient bien mal habiles ou bien malheureux si avec cela on les peut attraper. Il est vrai qu’il y a des règles qui ont des exceptions, surtout dans les questions où il entre beaucoup de circonstances, comme dans la jurisprudence. Mais pour en rendre l’usage sûr, il faut que ces exceptions soient déterminées en nombre et en sens, autant qu’il est possible : et alors il peut arriver que l’exception ait elle-même ses sous-exceptions, c’est-à-dire ses réplications, et que la réplication ait des duplications, etc., mais, au bout du compte, il faut que toutes ces exceptions et sous-exceptions bien déterminées, jointes avec la règle, achèvent l’universalité. C’est de quoi la jurisprudence fournit des exemples très remarquables. Mais, si ces sortes de règles, chargées d’exceptions et sous-exceptions, devaient entrer dans les disputes académiques, il faudrait toujours disputer la plume à la main, en tenant comme un protocole de ce qui se dit de part et d’autre. Et cela serait encore néces-
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nouveaux essais sur l’entendement