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nouveaux essais sur l’entendement

que Dieu par son bon plaisir nous donne ce fantôme et qu’il est indépendant du mouvement des dents de la roue et de leurs intervalles, et comme au contraire on conçoit que ce n’est qu’une expression confuse de ce qui se passe dans ce mouvement, expression, dis-je, qui consiste en ce que des closes successives sont confondues dans une simultanéité apparente : ainsi il est aisé de juger qu’il en sera de même à l’égard des autres fantômes sensitifs, dont nous n’avons pas encore une si parfaite analyse, comme des couleurs, des goûts, etc. ; car, pour dire la vérité, ils méritent ce nom de fantômes plutôt que celui de qualités, ou même d’idées. Et il nous suffirait à tous égards de les entendre aussi bien que cette transparence artificielle, sans qu’il soit raisonnable ni possible de prétendre d’en savoir davantage ; car de vouloir que ces fantômes confus demeurent et que cependant on y démêle les ingrédients par la fantaisie même, c’est se contredire, c’est vouloir avoir le plaisir d’être trompé par une agréable perspective et vouloir qu’en même temps, l’œil voie la tromperie, ce qui serait la gâter. C’est un cas enfin, où

Nihil plus agas
Quam si des operam, ut cum ratione insanias

Mais il arrive souvent aux hommes de chercher nodum in scirpo et de se faire des difficultés où il n’y en a point, en demandant ce qui ne se peut et se plaignant après de leur impuissance et des bornes de leurs lumières.

§ 8. Ph. « Tout or est fixe, » c’est une proposition dont nous ne pourrons pas connaître certainement la vérité. Car, si l’or signifie une espèce de choses, distinguée par une essence réelle que la nature lui a donnée, on ignore quelles substances particulières sont de cette espèce ; ainsi on ne saurait l’affirmer avec cette certitude, quoique ce soit de l’or. Et, si l’on prend l’or pour un corps, doué d’une certaine couleur jaune, malléable, fusible, et plus pesant qu’un autre corps connu, il n’est pas difficile de connaître ce qui est, ou n’est pas or ; mais avec tout cela, nulle autre qualité ne peut être affirmée ou niée avec certitude de l’or que ce qui a avec cette idée une connexion ou une incompatibilité qu’on peut découvrir[1]. Or la fixité n’ayant aucune connexion connue avec la couleur, la pesanteur et les autres idées simples que j’ai supposées faire l’idée

  1. Le texte de Gehrardt est inintelligible : « Et tout ce qui a une connexion avec cette idée à une connexion où à une incompatibilité qu’on peut découvrir. »