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l’entendement humain

la nécessité. Quelques anciens se sont moques d’Euclide, de ce qu’il a prouvé ce qu’un âne même n’ignore pas (à ce qu’ils disent), savoir que dans un triangle les deux côtés ensemble sont plus grands que le troisième. Mais ceux qui savent ce que c’est que la véritable analyse, savent bon gré à Euclide de sa preuve. Et c’est beaucoup que les Grecs, si peu exacts en autre chose, l’ont été tant en géométrie. Je l’attribue à la Providence, et je crois que sans cela nous ne saurions presque point ce que c’est que démonstration. Aussi, crois-je que c’est en cela principalement que nous sommes supérieurs aux Chinois jusqu’ici.

Mais il faut encore voir un peu ce que dit notre habile et célèbre auteur dans les chapitres ii et iii pour soutenir qu’il n’y a point de principes nés avec nous. Il s’oppose au consentement universel qu’on allègue en leur faveur, soutenant que bien des gens doutent même de ce fameux principe que deux contradictoires ne sauraient être vraies ou fausses à la fois, et que la plus grande partie du genre humain l’ignore tout à fait. J’avoue qu’il y a une infinité de personnes qui n’en ont jamais fait énonciation expresse. J’ai vu même des auteurs qui l’ont voulu réfuter, le prenant sans doute de travers. Mais où en trouvera-t-on qui ne s’en serve en pratique et qui ne soit choqué d’un menteur qui se contredit ? Cependant je ne me fonde pas entièrement sur le consentement universel, et quant aux propositions qu’on approuve aussitôt qu’elles sont proposées, j’avoue qu’il n’est point nécessaire quelles soient primitives ou prochaines d’elles, car il se peut que ce soient des faits fort communs. Pour ce qui est de cette énonciation qui nous apprend qu’un et un font deux (que l’auteur apporte comme un exemple), elle n’est pas un axiome, mais une définition. Et lorsqu’on dit que la douceur est autre chose que l’amertume, on ne rapporte qu’un fait de l’expérience primitive ou de la perception immédiate. Ou bien on ne fait que dire que la perception de ce qu’on entend par le mot de la douceur, est différente de la perception de ce qu’on entend par le mot de l’amertume. Je ne distingue point ici les vérités pratiques de celles qui sont spéculatives : c’est toujours la même chose. Et, comme on peut dire que c’est une vérité des plus manifestes, qu’une substance dont la science et la puissance sont infinies, doit être honorée, on peut dire qu’elle émane d’abord de la lumière qui est née avec nous, pourvu qu’on y puisse donner son attention.