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nouveaux essais sur l’entendement

connaissances démonstratives. Elles ne laissent pas d’avoir leur usage pour éveiller l’esprit. Les figures géométriques paraissent plus simples que les choses morales ; mais elles ne le sont pas, parce que le continu enveloppe l’infini, d’où il faut choisir. Par exemple, pour couper un triangle en quatre parties égales par deux droites perpendiculaires entre elles, c’est une question qui paraît simple et qui est assez difficile. Il n’en est pas de même dans les questions de morale, lorsqu’elles sont déterminables par la seule raison. Au reste, ce n’est pas le lieu ici de parler de proferendis scientiæ demonstrandi pomœriis, et de proposer les vrais moyens d’étendre l’art de démontrer au delà de ses anciennes limites, qui ont été presque les mêmes jusqu’ici que ceux du pays mathématique. J’espère, si Dieu me donne le temps qu’il faut pour cela, d’en faire voir quelque essai un jour, en mettant ces moyens en usage effectivement sans me borner aux préceptes.

Ph. Si vous exécutez ce dessein, Monsieur, et comme il faut, vous obligerez infiniment les Philalèthes comme moi, c’est-à-dire ceux qui désirent sincèrement de connaître la vérité. Et elle est agréable naturellement aux esprits, et il n’y a rien de si difforme et de si incompatible avec l’entendement que le mensonge. Cependant il ne faut pas espérer qu’on s’applique beaucoup à ces découvertes, tandis que le désir et l’estime des richesses ou de la puissance portera les hommes à épouser les opinions autorisées par la mode, et il chercher ensuite des arguments, ou pour les faire passer pour bonnes, ou pour les farder et couvrir leur difformité. Et, pendant que les différents partis font recevoir leurs opinions à tous ceux qu’ils peuvent avoir en leur puissance, sans examiner si elles sont fausses ou véritables, qu’elle nouvelle lumière peut-on espérer dans les sciences qui appartiennent à la morale ? Cette partie du genre humain qui est sous le joug, devrait attendre, au lieu de cela, dans la plupart des lieux du monde, des ténèbres aussi épaisses que celles d’Égypte, si la lumière du Seigneur ne se trouvait pas elle-même présente à l’esprit des hommes, lumière sacrée que tout le pouvoir humain ne saurait éteindre entièrement.

Th. Je ne désespère point que dans un temps ou dans un pays plus tranquille les hommes ne se mettent plus à la raison qu’ils n’ont fait. Car en effet il ne faut désespérer de rien ; et je crois que de grands changements en mal et en bien sont réservés au genre humain, mais plus en bien enfin qu’en mal. Supposons qu’on voie un jour