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de la connaissance

Th. C’est ce qui est arrivé à mon Art des combinaisons[1], comme je m’en suis déjà plaint. C’était un fruit de ma première adolescence et cependant on le réimprima longtemps après sans me consulter et sans marquer même que c’était une seconde édition, ce qui fit croire à quelques-uns, mon préjudice, que j’étais capable de publier une telle pièce dans un âge avancé ; car, quoiqu’il y ait des pensées de quelque conséquence que j’approuve encore, il y en avait pourtant aussi qui ne pouvaient convenir qu’à un jeune étudiant.

§ 19. Ph. Je trouve que les figures sont un grand remède à l’incertitude des mots, et c’est ce qui ne peut point avoir lieu dans les idées morales. De plus, les idées de morale sont plus composées que les figures qu’on considère ordinairement dans les mathématiques ; ainsi l’esprit a de la peine à retenir les combinaisons précises de ce qui entre dans les idées morales d’une manière aussi parfaite qu’il serait nécessaire lorsqu’il faut de longues déductions. Et, si dans l’arithmétique on ne désignait les différents postes par des marques dont la signification précise soit connue, et qui restent et demeurent en vue, il serait presque impossible de faire de grands comptes (§ 20). Les définitions donnent quelque remède, pourvu qu’on les emploie constamment dans la morale. Et du reste il n’est pas aisé de prévoir quelles méthodes peuvent être suggérées par l’algèbre ou par quelque autre moyen de cette nature, pour écarter les autres difficultés.

Th. Feu M.  Erhard Weigel[2], mathématicien de Iéna en Thuringe, inventa ingénieusement des figures qui représentaient des choses morales. Et, lorsque feu M.  Samuel de Puffendorff[3], qui était son disciple, publia ses Éléments de la jurisprudence universelle assez conformes aux pensées de M.  Weigélius, on y ajouta dans l’édition de Iéna la Sphère morale de ce mathématicien. Mais ces figures sont une manière d’allégorie à peu près comme la table de Cebes[4], quoique moins populaire, et servent plutôt à la mémoire, pour retenir et ranger les idées, qu’au jugement pour acquérir des

  1. De Arte combinatoria.
  2. Weigel (Erhard), 1625-1699, célèbre mathématicien allemand, professeur à Iéna. ; a écrit une Arithmétique de la morale. P. J.
  3. Puffendorf, l’un des fondateurs du Droit naturel, né à Dippoldswald en 1632, mort à Berlin en 1694 Son principal ouvrage est son De Jure naturæ et gentium libri octo (Leipzig, 1744, 1 vol.  in-4o), traduit par Barbeyrae en français avec notes (Amsterdam, 2 vol.  in-4o, 1712) ; Elementa jurisprudentiæ, de officio hominis libri duo. P. J.
  4. Cebes, disciple de Socrate. Voirie le Phédon de Platon.