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nouveaux essais sur l’entendement

commencent à se déclarer qu’ils n’entendent les causes occasionnelles que comme moi. Or, cela étant posé, il n’arrive rien d’inintelligible, excepté que nous ne saurions démêler tout ce qui entre dans nos perceptions confuses qui tiennent même de l’infini, et qui sont des expressions du détail de ce qui arrive dans les corps ; et, quant au bon plaisir du créateur, il faut dire qu’il est réglé selon les natures des choses, en sorte qu’il n’y produit et conserve que ce qui leur convient et qui se peut expliquer par leurs natures au moins en général ; car le détail nous passe souvent, autant que le soin et le pouvoir de ranger les grains d’une montagne de sable selon l’ordre des figures, quoiqu’il n’y ait rien là de difficile à entendre que la multitude. Autrement, si cette connaissance nous passait en elle-même, et si nous ne pouvons pas même concevoir la raison des rapports de l’âme et du corps en général, enfin si Dieu donnait aux choses des puissances accidentelles détachées de leurs natures, et par conséquent éloignées de la raison en général, ce serait une porte de derrière pour rappeler les qualités trop occultes qu’aucun esprit ne peut entendre, et ces petits lutins de facultés incapables de raison,

Et quicquid schola finxit otiosa :

lutins secourables, qui viennent paraître comme les dieux de théâtre, ou comme les fées de l’Amadis, et qui feront au besoin tout ce que voudra un philosophe, sans façon et sans outils. Mais d’en attribuer l’origine au bon plaisir de Dieu, c’est ce qui ne paraît pas trop convenable à celui qui est la suprême raison, chez qui tout est réglé, tout est lié. Ce bon plaisir ne serait pas même bon, ni plaisir, s’il n’y avait un parallélisme perpétuel entre la puissance et la sagesse de Dieu.

§ 8. Ph. Notre connaissance de l’identité et de la diversité va aussi loin que nos idées ; mais celle de la liaison de nos idées (§ 9, § 10) par rapport à leur coexistence dans un même sujet est très imparfaite et presque nulle (§ 11), surtout à l’égard des qualités secondes comme couleurs, sons et goûts (§ 12), parce que nous ne savons pas leur connexion avec les qualités premières, c’est-à-dire (§ 13) comment elles dépendent de la grandeur, de la figure ou du mouvement (§ 15). Nous savons un peu davantage de l’incompatibilité de ces qualités secondes, car un sujet ne peut avoir deux couleurs par exemple en même temps ; et lorsqu’il semble qu’on les voit dans une opale, ou dans une infusion du lignum nephriticum, c’est dans