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de la connaissance

surtout si l’on va aux plus que sourdes, peuvent varier de trop de manières, pour qu’on en puisse faire un dénombrement et déterminer aisément tout ce qui se peut. Il y aurait peut-être moyen de le faire, si cette surdité doit être explicable par une équation ordinaire, ou même extraordinaire encore, qui fasse entrer l’irrationnel ou même l’inconnu dans l’exposant, quoiqu’il faudrait un grand calcul pour achever encore cela et où l’on ne se résoudra pas facilement, si ce n’est qu’on trouve un jour un abrégé pour en sortir. Mais d’exclure toutes les expressions finies, cela ne se peut, car moi-même j’en sais ; et d’en déterminer justement la meilleure, c’est une grande affaire. Et tout cela fait voir que l’esprit humain se propose des questions si étranges, surtout lorsque l’infini y entre, qu’on ne doit point s’étonner s’il a de la peine à en venir à bout ; d’autant que tout dépend souvent d’un abrégé dans ces matières géométriques, qu’on ne peut pas toujours se promettre, tout comme on ne peut pas toujours réduire les fractions à des moindres termes, ou trouver les diviseurs d’un nombre. Il est vrai qu’on peut toujours avoir ses diviseurs s’il se peut, parce que leur dénombrement est fini ; mais, quand ce qu’on doit examiner est variable à l’infini et monte de degré en degré, on n’en est pas le maître quand on le veut, et il est trop pénible de faire tout ce qu’il faut pour tenter par méthode de venir à l’abrégé ou à la règle de progression, qui exempte de la nécessité d’aller plus avant ; et, comme l’utilité ne répond pas à la peine, on en abandonne le succès à la postérité, qui en pourra jouir quand cette peine ou prolixité sera diminuée par des préparations et ouvertures nouvelles que le temps peut fournir. Ce n’est pas que si les personnes qui se mettent de temps en temps à ces études, voulaient faire justement ce qu’il faut pour passer plus avant, on ne puisse espérer d’avancer beaucoup en temps ; et on ne doit point s’imaginer que tout est fait, puisque, même dans la géométrie ordinaire, on n’a pas encore de méthode pour déterminer les meilleures constructions, quand les problèmes sont un peu composés. Une certaine progression de synthèse devrait être mêlée avec notre analyse pour y mieux réussir. Et je me souviens d’avoir ouï dire que monsieur le pensionnaire de Witt[1] avait quelques méditations sur ce sujet.

  1. De Witt (Jean), bien plus célèbre comme homme d’État que comme géomètre, est né à Dordreeht en 1625, et mort avec son frère Corneille, en 1672, massacré dans une révolution qui mit Guillaume d’Orange à la tête des