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nouveaux essais sur l’entendement

trop entêté de ses académiciens, dont il aurait été bien aise de ressusciter la secte, comme M.  Gassendi avait fait remonter sur le théâtre celle d’Épicurc. Sa Critique de la recherche de la vérité, et les autres petits traités qu’il a fait imprimer ensuite, ont fait connaître leur auteur assez avantageusement. Il a mis aussi dans le Journal des savants des objections contre mon système de l’harmonie préétablie, lorsque j’en fis part au public après l’avoir digéré plusieurs années ; mais la mort l’empêcha de répliquer à ma réponse. Il prêchait toujours qu’il fallait se garder des préjugés et apporter une grande exactitude ; mais, outre que lui-même ne se mettait pas en devoir d’exécuter ce qu’il conseillait, en quoi il était assez excusable, il me semblait qu’il ne prenait pas garde si un autre le faisait, prévenu sans doute que personne ne le ferait jamais. Or je lui fis connaître que la vérité des choses sensibles ne consistait que dans la liaison des phénomènes qui devait avoir sa raison, et que c’est ce qui les distingue des songes : mais que la vérité de notre existence et de la cause des phénomènes est d’une autre nature, parce qu’elle établit des substances, et que les sceptiques gâtaient ce qu’ils disent de bon, en le portant trop loin, et en voulant même étendre leurs doutes jusqu’aux expériences immédiates, et jusqu’aux vérités géométriques (ce que M.  Foucher pourtant ne faisait pas) et aux autres vérités de raison, ce qu’il faisait un peu trop. Mais, pour revenir à vous, Monsieur, vous avez raison de dire qu’il y a de la différence pour l’ordinaire entre les sentiments et les imaginations ; mais les sceptiques diront que le plus et le moins ne varie point l’espèce. D’ailleurs, quoique les sentiments aient coutume d’être plus vifs que les imaginations, l’on sait pourtant qu’il y a des cas où des personnes imaginatives sont frappées par leurs imaginations autant ou peut-être plus qu’un autre ne l’est par la vérité des choses ; de sorte que je crois que le vrai criterion, en matière des objets des sens, est la liaison des phénomènes, c’est-à-dire la connexion de ce qui se passe en différents lieux et temps, et dans l’expérience de différents hommes, qui sont eux-mêmes les uns aux autres des phénomènes très importants sur cet article. Et la liaison des phénomènes qui garantit les vérités de fait à l’égard des choses sensibles hors de nous, se vérifie par le moyen des vérités de raison ; comme les apparences de l’optique s’éclaircissent par la géométrie. Cependant il faut avouer que toute cette certitude n’est pas du suprême degré, comme vous l’avez bien reconnu. Car il n’est point impossible, mé-