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de la connaissance

venance ou disconvenance qu’on cherche ; et c’est ce qu’on appelle raisonner. Comme en démontrant que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits, on trouve quelques autres angles qu’on voit égaux tant aux trois angles qu’à deux droits. § 3. Ph. Ces idées qu’on fait intervenir se nomment preuves, et la disposition de l’esprit à les trouver, c’est la sagacité. § 4. Et même, quand elles sont trouvées, ce n’est pas sans peine et sans attention, ni par une seule vue passagère, qu’on peut acquérir cette connaissance ; car il se faut engager dans une progression d’idées faites peu à peu et par degrés. § 5. Et il y a du doute avant la démonstration. § 6. Elle est moins claire que l’intuitive, comme l’image réfléchie par plusieurs miroirs de l’un à l’autre s’affaiblit de plus en plus à chaque réflexion, et n’est plus d’abord si reconnaissable surtout à des yeux faibles. Il en est de même d’une connaissance produite par une longue suite de preuves. § 7. Et, quoique chaque pas que la raison fait en démontrant soit une connaissance intuitive ou de simple vue, néanmoins comme dans cette longue suite de preuves la mémoire ne conserve pas si exactement cette liaison d’idées, les hommes prennent souvent des faussetés pour des démonstrations.

Th. Outre la sagacité naturelle, ou acquise par l’exercice, il y a un art de trouver les idées moyennes (le medium), et cet art est l’analyse. Or il est bon de considérer ici qu’il s’agit tantôt de trouver la vérité ou la fausseté d’une proposition donnée, ce qui n’est autre chose que de répondre à la question An ? c’est-à-dire si cela est ou n’est pas ? Tantôt il s’agit de répondre à une question plus difficile (cæteris paribus), où l’on demande par exemple par qui, et comment ? et où il y a plus à suppléer. Et ce sont seulement ces questions qui laissent une partie de la proposition en blanc que les mathématiciens appellent problèmes. Comme lorsqu’on demande de trouver un miroir qui ramasse tous les rayons du soleil en un point, c’est-à-dire on en demande la figure ou comment il est fait. Quant aux premières questions, où il s’agit seulement du vrai et du faux et où il n’y a rien à suppléer dans le sujet ou prédicat, il y a moins d’invention, cependant il y en a ; et le seul jugement n’y suffit pas. Il est vrai qu’un homme de jugement, c’est-à-dire qui est capable d’attention et de réserve, et qui a le loisir, la patience et la liberté d’esprit nécessaire, peut entendre la plus difficile démonstration si elle est proposée comme il faut. Mais l’homme le plus judicieux de la terre, sans autre aide, ne sera pas toujours capable de trouver