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réflexions sur l’essais de locke

Il y a encore quelques autres choses dans ce second livre qui m’arrêtent ; par exemple lorsqu’il est dit (ch. xvii) que l’infinité ne se doit attribuer qu’à l’espace, au temps et au nombre. Je crois à la vérité, avec M. Locke, qu’à proprement parler, on peut dire qu’il n’y a point d’espace, temps ni de nombre qui soit infini, mais qu’il est seulement vrai [que pour grand que soit un espace, un temps, ou un nombre, il y en a toujours un plus grand que][1] lui sans fin ; et qu’ainsi le véritable infini ne se trouve point dans un tout composé de parties. Cependant il ne laisse pas de se trouver ailleurs, savoir dans l’absolu, qui est sans parties, et qui a influence sur les choses composées, parce qu’elles résultent de la limitation de l’absolu. Donc l’infini positif n’étant autre chose que l’absolu, on peut dire qu’il y a en ce sens une idée positive de l’infini, et qu’elle est antérieure à celle du fini. Au reste, en rejetant un infini composé, on ne nie point ce que les géomètres démontrent de seriebus infinitis, et particulièrement ce que nous a donné l’excellent M. Newton[2], sans parler de ce que j’y ai contribue moi-même.

Quant à ce qui est dit, chapitre xxx, de ideis adæquatis, il est permis de donner aux termes la signification qu’on trouve à propos. Cependant, sans blâmer le sens de M. Locke, je mets des degrés dans les idées, selon lequel j’appelle adéquates celles où il n’y a plus rien à expliquer, à peu près comme dans les nombres. Or toutes les idées des qualités sensibles, comme de la lumière, couleur, chaleur, n’étant point de cette nature, je ne les compte point parmi les adéquates ; aussi n’est-ce point par elles-mêmes, ni à priori, mais par l’expérience, que nous en savons la réalité, ou la possibilité.

Il y a encore bien des bonnes choses dans le livre III, où il est traité des mots ou termes. Il est très vrai qu’on ne saurait tout définir, et que les qualités sensibles n’ont point de définition nominale, ainsi on les peut appeler primitives en ce sens-la ; mais elles ne laissent pas de pouvoir recevoir une définition réelle. J’ai montré la différence de ces deux sortes de définitions dans la méditation citée ci-dessus. La définition nominale explique le nom par les marques de la chose ; mais la définition réelle fait connaître à

  1. Le membre de phrase encadre ici ([ ]) manque dans Gehrardt, de sorte que la phrase n’a pas de sens.
  2. Newton, illustre astronome et mathématicien anglais du xviie siècle, inventeur de la théorie de la gravitation universelle, et en partie du calcul de