Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
298
nouveaux essais sur l’entendement

critiques pour découvrir des connaissances plus importantes. Et comme la critique roule en grande partie sur la signification des mots et sur l’interprétation des auteurs, anciens surtout, cette discussion des mots, jointe à la mention que vous avez faite des anciens, m’a fait toucher ce point qui est de conséquence. Mais pour revenir à vos quatre défauts de la nomination, je vous dirai, Monsieur, qu’on peut remédier à tous, surtout depuis que l’écriture est inventée, et qu’ils ne subsistent que par notre négligence. Car il dépend de nous de fixer les significations, au moins dans quelque langue savante, et d’en convenir pour détruire cette tour de Babel. Mais il y a deux défauts, où il est plus difficile de remédier, qui consistent, l’un dans le doute où l’on est si des idées sont compatibles lorsque l’expérience ne nous les fournit pas toutes combinées dans un même sujet ; l’autre dans la nécessité qu’il y a de faire des définitions provisionnelles des choses sensibles, lorsqu’on n’en a pas assez d’expérience pour en avoir des définitions plus complètes ; mais j’ai parlé plus d’une fois de l’un et de l’autre de ces défauts.

Ph. Je m’en vais vous dire des choses qui serviront encore à éclaircir en quelque façon les défauts que vous venez de marquer ; et le troisième de ceux que j’ai indiqués fait, ce semble, que ces définitions sont provisionnelles : c’est lorsque nous ne connaissons pas assez nos modèles sensibles, c’est-à-dire les êtres substantiels de nature corporelle. Ce défaut fait aussi que nous ne savons pas s’il est permis de combiner les qualités sensibles que la nature n’a point combinées, parce qu’on ne les entend pas à fond. Or, si la signification des mots qui servent pour les modes composés, est douteuse, faute de modèles qui fassent voir la même composition, celle des noms des êtres substantiels l’est par une raison tout opposée, parce qu’ils doivent signifier ce qui est supposé conforme à la réalité des choses, et se rapporte à des modèles formés par la nature.

Th. J’ai remarqué déjà plus d’une fois dans nos conversations précédentes, que cela n’est point essentiel aux idées des substances, mais j’avoue que les idées faites d’après nature sont les plus sûres et les plus utiles.

§ 12. Ph. Lors donc qu’on suit les modèles tout faits par la nature, sans que l’imagination ait besoin que d’en retenir les représentations, les noms des êtres substantiels ont dans l’usage ordinaire un double rapport, comme j’ai déjà montré. Le premier est qu’ils signifient la constitution interne et réelle des choses ; mais ce