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nouveaux essais sur l’entendement

qu’il n’y a dans la nature aucune mesure fixe ni aucun modèle pour les rectifier et pour les régler ; 3o lorsque le modèle n’est pas aisé à connaître ; 4o lorsque la signification du mot et l’essence réelle ne sont pas exactement les mêmes. Les dénominations des modes sont plus sujettes à être douteuses et imparfaites pour les deux premières raisons, et celles des substances pour les deux secondes. § 6. Lorsque l’idée des modes est fort complexe, comme celle de la plupart des termes de morale, elles ont rarement la même signification précise dans les esprits de deux différentes personnes. § 27. Le défaut aussi des modèles rend ces mots équivoques. Celui qui a inventé le premier le mot de brusquer y a entendu ce qu’il a trouvé à propos, sans que ceux qui s’en sont servi comme lui se soient informés de ce qu’il voulait dire précisément, et sans qu’il leur en ait montré quelque modèle constant. § 8. L’usage commun règle assez bien le sens des mots pour la conversation ordinaire, mais il n’y a rien de précis, et l’on dispute tous les jours de la signification la plus conforme à la propriété du langage. Plusieurs parlent de la gloire, et il y en a peu qui l’entendent l’un comme l’autre. § 9. Ce ne sont que de simples sons dans la bouche de plusieurs, ou du moins les significations sont fort indéterminées. Et dans un discours ou entretien où l’on parle d’honneur, de foi, de grâce, de religion, d’église, et surtout dans la controverse, on remarquera d’abord que les hommes ont des différentes notions qu’ils appliquent aux mômes termes.

Th. Ces remarques sont bonnes ; mais, quant aux anciens livres, comme nous avons besoin d’entendre la sainte Écriture surtout et que les lois romaines encore sont de grand usage dans une bonne partie de l’Europe, cela même nous engage à consulter quantité d’autres anciens livres, les rabbins, les Pères de l’Église, même les historiens profanes. D’ailleurs, les anciens médecins méritent aussi d’être entendus. La pratique de la médecine des Grecs est venue des Arabes jusqu’à nous : l’eau de la source a été troublée dans les ruisseaux des Arabes et rectifiée en bien des choses, lorsqu’on a commencé à recourir aux originaux grecs. Cependant ces Arabes ne laissent pas d’être utiles, et l’on assure par exemple qu’Ebenbitar [1], qui dans les livres des simples a copié Dioscoride, sert souvent à l’éclaircir. Je trouve aussi qu’après la religion et l’histoire, c’est principalement dans la médecine, en tant qu’elle est empirique

  1. Ibn-al-Baltar, 1197-1248, botaniste arabe. Voir Pouchet, Histoire des sciences naturelles au moyen âge ; Paris, 1853.