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des mots

la nature ou par l’artifice des hommes. Car la nature a aussi de telles aggravations, comme sont les corps dont la mixtion est imparfaite, pour parler le langage de nos philosophes (imperfecte mixta) qui ne sont[1] point unum per se et n’ont point en eux une parfaite unité. Je crois cependant que les quatre corps, qu’ils appellent éléments, qu’ils croient simples, et les sels, les métaux et autres corps, qu’ils croient être mêlés parfaitement, et à qui ils accordent leurs tempéraments, ne sont pas unum per se non plus, d’autant plus qu’on doit juger qu’ils ne sont uniformes et similaires qu’en apparence, et même un corps similaire ne laisserait pas d’être un amas. En un mot l’unité parfaite doit être réservée aux corps animés, ou doués d’entéléchies primitives ; car ces entéléchies ont de l’analogie avec les âmes, et sont aussi indivisibles et impérissables qu’elles : et j’ai fait juger ailleurs que leurs corps organiques sont des machines en effet, mais qui surpassent autant les artificielles qui sont de notre invention, que l’inventeur des naturelles nous surpasse. Car ces machines de la nature sont aussi impérissables que les âmes mêmes, et l’animal avec l’âme subsiste toujours ; c’est (pour me mieux expliquer par quelque chose de revenant, tout ridicule qu’il est) comme Arlequin qu’on voulait dépouiller sur le théâtre, mais on n’en put venir à bout, parce qu’il avait je ne sais combien d’habits les uns sur les autres : quoique ces réplications des corps organiques à l’infini, qui sont dans un animal, ne soient pas si semblables ni si appliquées les unes sur les autres, comme des habits ; l’artifice de la nature, étant d’une tout autre subtilité. Tout cela fait voir que les philosophes n’ont pas eu tout le tort du monde de mettre tant de distance entre les choses artificielles et entre les corps naturels doués d’une véritable unité. Mais il n’appartenait qu’à notre temps de développer ce mystère et d’en faire comprendre l’importance et les suites pour bien établir la théologie naturelle et ce qu’on appelle la pneumatique[2] d’une manière qui soit véritablement naturelle et conforme à ce que nous pouvons expérimenter et entendre ; qui ne nous fasse rien perdre des importantes considérations qu’elles doivent fournir, ou plutôt qui les rehausse, comme fait le système de l’harmonie préétablie. Et je crois que nous ne pouvons mieux finir que par la cette longue discussion des noms des substances.

  1. Gehrardt : font.
  2. La Pneumatique (de πνεῦμα), science des esprits.