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nouveaux essais sur l’entendement

merveilleusement la doctrine des plantes, et les expériences qu’on a faites sur les insectes nous ont donné quelque entrée nouvelle dans la connaissance des animaux. Cependant nous sommes encore bien éloignés de la moitié de notre course.

§ 26. Ph. Si les espèces étaient un ouvrage de la nature, elles ne pourraient pas être conçues si différemment en différentes personnes : l’homme paraît à l’un un animal sans plumes à deux pieds avec de larges ongles ; et l’autre après un plus profond examen y ajoute la raison. Cependant bien des gens déterminent plutôt les espèces des animaux par leur forme extérieure que par la naissance, puisqu’on a mis en question plus d’une fois si certains fœtus humains doivent être admis au baptême ou non, par la seule raison que leur configuration extérieure différait de la forme ordinaire des enfants, sans qu’on sût s’ils n’étaient point aussi capables de raison que des enfants jetés dans un autre moule, dont il s’en trouve quelques-uns qui, quoique d’une forme approuvée, ne sont jamais capables de faire voir durant toute leur vie autant de raison qu’il en parait dans un singe ou un éléphant, et qui ne donnent jamais aucune marque d’être conduits par une âme raisonnable : d’où il paraît évidemment que la forme extérieure qu’on a seulement trouvée à dire, et non la faculté de raisonner dont personne ne peut savoir si elle devait manquer dans son temps, a été rendue essentielle à l’espèce humaine. Et dans ces occasions les théologiens et les jurisconsultes les plus habiles sont obligés de renoncer à leur sacrée définition d’animal raisonnable, et de mettre à la place quelque autre essence de l’espèce humaine. « M. Ménage (Menagiana, t. I, p. 278 de l’édit. de Holl. 1649) nous fournit l’exemple d’un certain abbé de Saint-Martin, qui mérite d’être rapporté. Quand cet abbé de Saint-Martin, dit-il, vint au monde, il avait si peu la figure d’un homme, qu’il ressemblait plutôt à un monstre. On fut quelque temps à délibérer si on le baptiserait. Cependant il fut baptisé et on le déclara homme par provision, c’est-à-dire jusqu’à ce que le temps eût fait connaître ce qu’il était. Il était si disgracié de la nature qu’on l’a appelé toute sa vie l’abbé Malotru. Il était de Caen. » Voilà un enfant qui fut fort près d’être exclu de l’espèce humaine simplement à cause de la forme. Il échappa à toute peine tel qu’il était, et il est certain qu’une figure un peu plus contrefaite l’aurait fait périr comme un être qui ne devait point passer pour un homme. Cependant on ne saurait donner aucune raison pourquoi une âme