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des mots

Ainsi jusqu’à ce que nous arrivions aux plus basses et moins organisées parties de la matière, nous trouverons partout que les espèces sont liées ensemble et ne diffèrent que par des degrés presque insensibles. Et, lorsque nous considérons la sagesse et la puissance infinie de l’auteur de toutes choses, nous avons sujet de penser que c’est une chose conforme à la somptueuse harmonie de l’univers et au grand dessein aussi bien qu’à la bonté infinie de ce souverain architecte, que les différentes espèces des créatures s’élèvent aussi peu à peu depuis nous vers son infinie perfection. Ainsi nous avons raison de nous persuader qu’il y a beaucoup plus d’espèces de créatures au-dessus de nous, qu’il n’y en a au-dessous, parce que nous sommes beaucoup plus éloignés en degrés de perfection de l’être infini de Dieu que de ce qui approche le plus près du néant. Cependant nous n’avons nulle idée claire et distincte de toutes ces différentes espèces.

Th. J’avais dessein, dans un autre lieu, de dire quelque chose d’approchant de ce que vous venez d’exposer, Monsieur ; mais je suis aise d’être prévenu lorsque je vois qu’on dit les choses mieux que je n’aurais espéré le faire. Des habiles philosophes ont traité cette question utrum derur vacuum formatur, c’est-à-dire, s’il y a des espèces possibles, qui pourtant n’existent point, et qu’il pourrait sembler que la nature ait oubliées. J’ai des raisons pour croire que toutes les espèces possibles ne sont point compressibles dans l’univers tout grand qu’il est, et cela non seulement par rapport aux choses qui sont ensemble en même temps, mais même par rapport à toute la suite des choses. C’est-à-dire je crois qu’il y a nécessairement des espèces qui n’ont jamais été et qui ne seront jamais, n’étant pas compatibles avec cette suite des créatures que Dieu a choisie. Mais je crois que toutes les choses que la parfaite harmonie de l’univers pouvait recevoir y sont. Qu’il y ait des créatures mitoyennes entre celles qui sont éloignées, c’est quelque chose de conforme et cette même harmonie, quoique ce ne soit pas toujours dans un même globe ou système, et ce qui est au milieu de deux espèce s’est quelquefois par rapport à certaines circonstances et non par rapport à d’autres. Les oiseaux, si différents de l’homme en autres choses, s’approchent de lui par la parole ; mais, si les singes savaient parler comme les perroquets, ils iraient plus loin. La loi de la continuité porte que la nature ne laisse point de vide dans l’ordre qu’elle suit ; mais toute forme ou espèce n’est pas de tout ordre. Quant aux es-