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nouveaux essais sur l’entendement

des parallèles des lois et coutumes des peuples, ce qui servirait non seulement dans la pratique, mais encore dans la contemplation, et donnerait occasion à l’auteur même de s’aviser de plusieurs considérations qui sans cela lui seraient échappées. Cependant dans la science même, séparée de son histoire ou existence, il n’importe point si les peuples se sont conformés ou non à ce que la raison ordonne.

§ 9. Ph. La signification douteuse du mot espèce fait que certaines gens sont choqués d’entendre dire que les espèces des mots mixtes sont formés par l’entendement. Mais je laisse à penser qui c’est qui fixe les limites de chaque sorte ou espèce, car ces deux mots me sont tout à fait synonymes.

Th. C’est la nature des choses, qui fixe ordinairement ces limites des espèces ; par exemple de l’homme et de la bête ; de l’estoc et de la taille. J’avoue cependant qu’il y a des notions où il y a véritablement de l’arbitraire ; par exemple lorsqu’il s’agit de déterminer un pied, car, la ligne droite étant uniforme et indéfinie, la nature n’y marque point de limites. Il y a aussi des essences vagues et imparfaites où l’opinion entre, comme lorsqu’on demande combien il faut laisser pour le moins de poils à un homme pour qu’il ne soit point chauve : c’était un des sophistes des anciens quand on pousse son adversaire,

Dum cadat elusus ratione ruentis acervi.

Mais la véritable réponse est que la nature n’a point déterminé cette notion et que l’opinion y a sa part, qu’il y a des personnes dont on peut douter s’ils sont chauves ou non, et qu’il y en a d’ambigües qui passeront pour chauves auprès des uns et non auprès des autres, comme vous aviez remarqué qu’un cheval qui sera estimé petit en Hollande, passera pour grand dans le pays de Galles. Il y a même quelque chose de cette nature dans les idées simples ; car je viens d’observer que les dernières bornes des couleurs sont douteuses ; il y a aussi des essences véritablement nominales à demi, où le nom entre dans la définition de la chose ; par exemple, le degré ou la qualité de docteur, de chevalier, dl ambassadeur, de roi, se connaît lorsqu’une personne a acquis le droit reconnu de ce nom. Et un Ministre étranger, quelque plein pouvoir et quelque grand train qu’il ait, ne passera point pour Ambassadeur si sa lettre de créance ne lui en donne le nom. Mais ces essences et idées sont