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nouveaux essais sur l’entendement

choses, mais que c’est un ouvrage de l’entendement, § 12, et les essences de chaque espèce ne sont que les idées abstraites.

Th. Je ne vois pas assez cette conséquence. Car la généralité consiste dans la ressemblance des choses singulières entre elles, et cette ressemblance est une réalité.

§ 13. Ph. J’allais vous dire moi-même que ces espèces sont fondées sur les ressemblances.

Th. Pourquoi donc n’y point chercher aussi l’essence des genres et des espèces ?

§ 14. Ph. On sera moins surpris de m’entendre dire que ces essences sont l’ouvrage de l’entendement, si l’on considère qu’il y a du moins des idées complexes, qui dans l’esprit de différentes personnes ont souvent différentes collections d’idées simples, et ainsi ce qui est avarice dans l’esprit d’un homme ne l’est pas dans l’esprit d’un autre.

Th. J’avoue, Monsieur, qu’il y a peu d’endroits où j’aie moins entendu la force de vos-conséquences qu’ici, et cela me fait de la peine. Si les hommes diffèrent dans le nom, cela change-t-il les choses ou leurs ressemblances ? Si l’un applique le nom d’avarice à une ressemblance, et l’autre à une autre, ce seront deux différentes espèces désignées par le même nom.

Ph. Dans l’espèce des substances qui nous est plus familière et que nous connaissons de la manière la plus intime, on a douté plusieurs fois si le fruit qu’une femme a mis au monde était homme, jusqu’à disputer si l’on devait le nourrir et baptiser ; ce qui ne pourrait être si l’idée abstraite ou l’essence à laquelle appartient le nom d’homme était l’ouvrage de la nature et non une diverse incertaine collection d’idées simples que l’entendement joint ensemble et à laquelle il attache un nom après l’avoir rendue générale par voie d’abstraction. De sorte que dans le fond chaque idée distincte, formée par abstraction, est une essence distincte.

Th. Pardonnez-moi que je vous dise, Monsieur, que votre langage n’embarrasse, car je n’y vois point de liaison. Si nous ne pouvons pas toujours juger par le dehors des ressemblances de l’intérieur, est-ce qu’elles en sont moins dans la nature ? Lorsqu’on doute si un monstre est homme, c’est qu’on doute s’il a de la raison, Quand on saura qu’il en a, les théologiens ordonneront de le faire baptiser et les jurisconsultes de la faire nourrir. Il est vrai qu’on peut disputer des plus basses espèces logiquement prises, qui se varient