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des idées

losophe, ne put, dit-on, demeurer seul dans un lieu obscur sans qu’il eût l’esprit effrayé par les images des spectres quoiqu’il n’en crût point, cette impression lui étant restée des contes qu’on fait aux enfants. Plusieurs personnes savantes et de très bon sens, et qui sont fort au-dessus des superstitions, ne sauraient se résoudre d’être treize à un repas, sans en être extrêmement déconcertées, ayant été frappées autrefois de l’imagination qu’il en doit mourir un dans l’année. Il y avait un gentilhomme qui, ayant été blessé peut-être dans son enfance par une épingle mal attachée, ne pouvait plus en voir dans cet état sans être prêt à tomber en défaillance. Un premier ministre, qui portait dans la cour de son maître le nom de Président se trouva offensé par le titre du livre d’Octavio Pisani[1], nommé Lycurgue, et fit écrire contre ce livre, parce que l’auteur, en parlant des officiers de justice qu’il croyait superflus, avait nommé aussi les présidents, et quoique ce terme dans la personne de ce ministre signifiât tout autre chose, il avait tellement attaché le mot à sa personne, qu’il était blessé dans ce mot. Et c’est un cas des plus ordinaires des associations non naturelles, capables de tromper, que celles des mots aux choses, lors même qu’il y a de l’équivoque. Pour mieux entendre la source de la liaison non naturelle des idées, il faut considérer ce que j’ai remarqué déjà ci-dessus (chap. xi, § 1), en parlant du raisonnement des bêtes, que l’homme aussi bien que la bête est sujet à joindre par sa mémoire et par son imagination ce qu’il a remarqué joint dans ses perceptions et ses expériences. C’est en quoi consiste tout le raisonnement des bêtes, s’il est permis de l’appeler ainsi, et souvent celui des hommes, en tant qu’ils sont empiriques et ne se gouvernent que par les sens et les exemples, sans examiner si la même raison a encore lieu. Et comme souvent les raisons nous sont inconnues, il faut avoir égard aux exemples à mesure qu’ils sont fréquents ; car alors l’attente ou la réminiscence d’une autre perception, qui y est ordinairement liée, est raisonnable, surtout quand il s’agit de se précautionner. Mais, comme la véhémence d’une impression très forte fait souvent autant d’effet tout d’un coup que la fréquence et la répétition de plusieurs impressions médiocres en aurait pu faire à la longue, il


    sex emendatione geometriæ ; 3° Libros tres de corore ; 4° Liber unus de homine ; 5° Libros tres de Cive ; 6° De natura aeris ; 7° De principiis et ratiocinatione geometrarum ; 8° Leviathan. P. J.

  1. Pisani (Octavio), jurisconsulte italien, a publié dans cette langue son Lycurgus, seu Leges promptam justitiam promoventes. P. J.