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nouveaux essais sur l’entendement

relle des idées, qui a son origine du hasard ou de la coutume. § 6. Les inclinations et les intérêts y entrent. Certaines traces du cours fréquent des esprits animaux deviennent des chemins battus ; quand on suit un certain air, on le trouve dès qu’on l’a commencé. § 7. De cela viennent les sympathies et les antipathies, qui ne sont point nées avec nous. Un enfant a mangé trop de miel et en a été incommodé, et puis, étant devenu homme fait, il ne saurait entendre le nom de miel sans un soulèvement de cœur. § 8. Les enfants sont fort susceptibles de ces impressions, et il est bon d’y prendre garde.

§ 19. Ph. Cette association irrégulière des idées a une grande influence dans toutes nos actions et passions naturelles et morales. § 10. Les ténèbres réveillent l’idée des spectres aux enfants, à cause des contes qu’on leur en a faits. § 11. On ne pense pas à un homme qu’on hait, sans penser au mal qu’il nous a fait ou peut faire. § 12. On évite la chambre où on a vu mourir un ami. § 13. Une mère qui a perdu un enfant bien cher perd quelquefois avec lui toute sa joie, jusqu’à ce que le temps efface l’impression de cette idée, ce qui quelquefois n’arrive pas. § 14. Un homme guéri parfaitement de la rage par une opération extrêmement sensible se reconnut obligé toute sa vie à celui qui avait fait cette opération ; mais il lui fut impossible d’en supporter la vue. § 15. Quelques-uns haïssent les livres toute leur vie à cause des mauvais traitements qu’ils ont reçus dans les écoles. Quelqu’un ayant une fois pris un ascendant sur un autre dans quelque occasion le garde toujours.§ 16. Il s’est trouve un homme qui avait bien appris à danser, mais qui ne pouvait l’exécuter, quand il n’y avait point dans la chambre un coffre pareil à celui qui avait été dans celle où il avait appris. § 17. La même liaison non naturelle se trouve dans les habitudes intellectuelles. On lie la matière avec l’être comme s’il n’y avait rien d’immatériel. § 18. On attache à ses opinions le parti de secte dans la philosophie, dans la religion et dans l’État.

Th. Cette remarque est importante et entièrement à mon gré, et on la pourrait fortifier par une infinité d’exemples. M.  Descartes, ayant eu dans sa jeunesse quelque affection pour une personne louche, ne put s’empêcher d’avoir toute sa vie quelque penchant pour celles qui avaient ce défaut. M.  Hobbes[1], autre grand phil-

  1. Hobbes, philosophe anglais, né en 1588 à Malmesbury (comté de Withe), mort en 1679. Il a donné lui-même à Amsterdam une édition complète de ses œuvres (2 vol. in-4o). Elles contiennent : 1° Probleumata physica ; 2° Dialogos