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nouveaux essais sur l’entendement

de mots consiste, ou il n’y point attacher des idées du tout, ou à en attacher une imparfaite dont une partie est vide et demeure pour ainsi dire en blanc ; et en ces deux cas il y a quelque-chose de vide et de sourd dans la pensée, qui n’est rempli que par le nom ; ou enfin le défaut est d’attacher au mot des idées différentes, soit qu’on soit incertain lequel doit être choisi, ce qui fait l’idée obscure aussi bien que lorsqu’une partie en est sourde ; soit qu’on les choisisse tour à tour et qu’on se serve tantôt de l’une, tantôt de l’autre, pour le sens du même mot dans un même raisonnement, d’une manière capable de causer de l’erreur, sans considérer que ces idées ne s’accordent point. Ainsi la pensée incertaine est ou vide ou sans idée, ou flottante entre plus d’une idée. Ce qui nuit, soit qu’on veuille désigner quelque chose déterminée, soit qu’on veuille donner au mot un certain sens, répondant où il celui dont nous nous sommes déjà servi, où il celui dont se servent les autres, surtout dans le langage ordinaire, commun à tous ou commun aux gens du métier. Et de la naissent une infinité de disputes vagues et vaines dans la conversation, dans les auditoires et dans les livres qu’on veut vider quelquefois par les distinctions, mais qui le plus souvent ne servent qu’à embrouiller davantage, en mettant à la place d’un terme vague et obscur d’autres termes encore plus vagues et plus obscurs, comme sont souvent ceux que les philosophes emploient dans leurs distinctions, sans en avoir de bonnes définitions.

§ 12. Ph. S’il y a quelque autre confusion dans les idées que celle qui a un secret rapport aux noms, celle-la du moins jette le désordre plus qu’aucune autre dans les pensées et dans les discours des hommes.

Th. J’en demeure d’accord, mais il se mêle le plus souvent quelque notion de la chose et du but qu’on a en se servant du nom ; comme par exemple lorsqu’on parle de l’Église, plusieurs ont en vue un gouvernement, pendant que d’autres pensent à la vérité de la doctrine.

Ph. Le moyen de prévenir cette confusion, c’est d’appliquer constamment le même nom à un certain amas d’idées simples, unies en nombré fixe et dans un ordre détermine. Mais comme cela n’accommode ni la paresse ni la vanité des hommes, et qu’il ne peut servir qu’à la découverte et à la défense de la vérité, qui n’est pas toujours le but qu’ils se proposent, une telle exactitude est une de ces choses qu’on doit plutôt souhaiter qu’espérer. L’application vague des noms